Aujourd’hui j’aimerais vous raconter comment j’ai commencé à prendre du temps pour moi.
J’aurais pu prendre conscience que j’en avais besoin quand ma famille m’a dit qu’elle préférait mon ancienne coupe (ce qui signifiait en fait qu’elle préférait quand j’en avais une, puisqu’à la naissance de ma fille et pendant les 3 ans qui ont suivi je n’ai absolument pas touché à mes cheveux, si ce n’est pour les laver et les coiffer vaguement). J’aurais sans doute dû le faire lorsque j’ai envié mes amies qui sortaient, drapées dans de jolies robes, vernis sur les ongles et gloss fraîchement passé sur les lèvres. J’aurais voulu que ce soit quand mon conjoint m’a fait comprendre que j’étais beaucoup trop sur son dos en m’appelant « maman » pour me faire enrager.
En réalité, pendant toute cette période, je pensais ne pas avoir suffisamment de temps pour en prendre.
C’était vrai, d’ailleurs, si l’on se plaçait d’un point de vue purement « rentable ». En bonne chef du foyer que j’étais devenue, j’avais « raison » de croire qu’il n’était pas judicieux de « perdre » du temps en divertissement puéril alors qu’en me couchant à 23 h, en me levant à 6 h et en prenant à peine le temps de boire quelques cafés (indispensables pour tenir toute la journée), je n’arrivais pas à tout faire. J’avais simplement oublié, comme de nombreuses multinationales, qu’un foyer pérenne (comme une entreprise qui dure) est un foyer dans lequel on se sent bien et dans lequel on est tous en bonne santé.
Alors, comme souvent dans ma vie, j’ai attendu que mon corps me lâche
pour prendre des mesures efficaces, pas parce que j’en avais envie, mais parce que je ne pouvais techniquement plus faire autrement. Je n’entrerai pas dans les détails de mes problèmes de santé, mais il faut savoir tout de même que j’ai attendu de devoir demander à mon conjoint de me laver les cheveux car je ne pouvais plus le faire, pour me dire que, là, quand même, on pouvait légitimement considérer que j’avais touché le fond et qu’il fallait réagir.
L’ironie dans cette affaire, c’est que je ne l’ai pas fait pour me faire plaisir ou me sentir mieux.
Je l’ai fait pour avoir le temps de faire à nouveau tout ce que je faisais avant
(toutes les tâches que ma santé m’empêchait de réaliser). J’aurais pu me soigner pour être en bonne santé. Que nenni ! Il fallait aller mieux pour pouvoir en demander plus encore à mon corps, pour le pousser plus loin dans ses retranchements.
Lorsque les médecins m’ont conseillé d’aller voir un psychologue car tous envisageaient une cause morale sous-jacente, je ne les ai pas crus un instant, mais comme j’avais, auparavant, tout essayé en vain (médecine traditionnelle et médecines parallèles) et qu’il fallait absolument aller mieux, j’ai fini par y aller. C’est là que je me suis rendu compte que j’avais le temps. J’avais le temps d’aller chez la psy, j’avais le temps de faire les exercices de respiration qu’elle me conseillait, j’avais le temps de m’écrire des lettres pleines de gratitude et de louanges pour moi-même, j’avais le temps d’enfiler une robe et d’aller boire un mojito avec une copine, j’avais le temps de me rendre chez le coiffeur pour me plaire (à moi et rien qu’à moi, sans me soucier du regard des autres).
Tout à coup les journées paraissaient plus longues car elles étaient équilibrées.
Je guérissais à vue d’œil, je passais toujours autant de temps avec ma fille et je ne culpabilisais pas lorsque je m’éclipsais quelque temps pour moi-même. Certes, le linge sale s’entassait, le repassage n’était plus systématique et surtout, on mangeait moins souvent de la blanquette de veau mijotée pendant 3 h et plus souvent des crudités (bien meilleures pour la santé). Mais c’était sans importance car j’allais mieux (physiquement et mentalement évidemment).
J’ai longtemps cru que je pourrais être aussi performante que ma mère, qui était au foyer.
C’est impossible parce que je travaille aussi en dehors de mon foyer, parce que la société a changé, parce que mon conjoint n’est pas mon père et ne considère pas la vie de la même façon, parce que je n’ai pas les mêmes besoins qu’elle. C’est impossible parce que je ne suis pas elle. Je suis moi et aujourd’hui je m’aime, enfin.