Honorer les mamans au front - Fabuleuses Au Foyer
Maman épuisée

Honorer les mamans au front

Rebecca Dernelle-Fischer 3 février 2021
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Chère Fabuleuse, permets-moi de commencer cet article par une citation qui a modelé mes échanges avec les autres, surtout quand ceux-ci traversent une situation difficile, sinon inimaginable.

« Quand vous rendez hommage à ce que vous avez, vous rendez hommage à ce que j’ai perdu. »

(Brené Brown, Le Pouvoir de la vulnérabilité)

Cette citation vient d’un des livres qui m’a le plus touchée en tant que psychologue et auteur et dont je n’ai pas moins de 3 exemplaires : l’original en anglais, le français et l’allemand (de quoi toujours pouvoir le citer adéquatement). Il s’intitule Le Pouvoir de la vulnérabilité. 

Lors de ses recherches en science sociale, Brené Brown a interrogé des centaines de personnes sur leur vie et la joie, le deuil, la résilience et la vulnérabilité. Elle écrit :

« Quand j’ai demandé aux gens qui avaient vécu des tragédies comment on peut cultiver et témoigner davantage de compassion, la réponse était toujours la même : ne vous détournez pas de la joie que vous apporte votre enfant juste parce que j’ai perdu le mien. Ne prenez pas pour acquis ce que vous avez : célébrez-le. Ne vous excusez pas de ce que vous possédez. Soyez reconnaissant et exprimez cette reconnaissance à autrui. Vos parents sont-ils en bonne santé ? Réjouissez-vous. Dites-leur combien ils comptent pour vous. Quand vous rendez hommage à ce que vous avez, vous rendez hommage à ce que j’ai perdu. »

Honorer ce que j’ai alors que d’autres l’ont perdu ?

Je venais de sortir de mon rendez-vous médical quand mon regard a croisé celui d’une connaissance. Assise dans la salle d’attente avec son mari, ils attendent leur tour. Je m’approche, gênée. La dernière fois que je les ai vus et serrés dans mes bras, c’était lors de l’enterrement de leur cadet. Un an et demi après, par hasard, on se croise dans cette salle d’attente et elle me demande comment vont mes filles.

Que dire ? « Elles sont en vie, c’est tout ce qui compte ? », « Tout va bien, merci ? »…. Comment, mais comment vivre pleinement mon bonheur et le dire quand le sien était assombri du pire ?

Je respire, je repense à Brené Brown, à ce texte, à cette phrase.

Rendre hommage à ce que j’ai pour honorer ce que cette famille a perdu.  

Alors je réponds que mes filles vont bien, qu’elles grandissent. Que j’apprécie la normalité du quotidien, avec son brin de folie, avec son rythme, avec les mêmes gestes que l’on refait mille fois.

Ou encore, quand ce papa — épuisé par le comportement rebelle de son ado et dont la propre mère vient d’apprendre qu’elle a la maladie d’Alzheimer, qui doit en plus rénover et vendre la maison de sa belle-mère — me demande comment ça va chez nous, avec Pia, depuis l’adoption… Je lui réponds humblement que j’aime ce que j’ai. Je ne suis pas gênée, je ne me vante pas, je lui montre que j’ai le goût de mon présent, que je le vis.

Quand mes amis apprennent que leur fils de 10 jours est atteint d’une maladie du métabolisme qui l’obligera à prendre des médicaments toute sa vie, je suis là, comme je peux. Je ne cache pas mes rires, ni mes pleurs. Je pose mes mains sur mon ventre arrondi par la grossesse de ma première fille et en attendant que le docteur fasse sa visite dans cette chambre d’hôpital, je leur raconte la dernière gaffe que j’ai faite et tout naturellement, on commence à rire ensemble.

Quand mon amie qui a fait une fausse couche tout au début de sa grossesse voit Pia débarquer dans nos vies au moment où son bébé aurait dû naître, je sais que je ne vais pas alléger sa peine en négligeant ma joie. Elle ne veut pas que je cache mon bébé, ni son arrivée, on en parle, on reste authentique, je montre « ce que j’ai dans mes cartes ».

C’est simple et complexe, je l’honore en ne méprisant pas ce que j’ai sous la main. Je n’ai pas besoin de lui montrer que j’ai pitié d’elle. Je ne mets pas la barrière de la sympathie entre nous (cette manière condescendante qu’on aurait de dire « pauvre de toi, heureusement que je ne suis pas dans ta situation »). Brené Brown explique dans un autre de ses livres que la sympathie est une manière de se mettre à distance, alors que l’empathie rapproche.

Avec la sympathie, je mets une ligne entre moi et la personne :

« Heureusement que ça ne m’est pas arrivé, moi je ne suis pas comme ça, ouf, j’ai évité cette épreuve ! ». Je regarde l’autre de mon côté des choses et je lui envoie des signaux qui disent : « Ohlala, c’est terrible, pauvre de toi, mais comment tu fais, moi je ne pourrais pas ».

En faisant cela, je nous sépare, je me distingue.

Alors qu’en étant empathique, je me rapproche, je cherche en moi ce qui m’aide à comprendre, je m’assieds un instant dans l’inconfort de l’autre, j’essaye de marcher un instant dans ses chaussures tout en sachant que ce ne sont pas les miennes.

Parmi nos lectrices, parmi vous, certaines portent sur leurs épaules un paquet d’une forme et d’une lourdeur peu communes, certaines n’ont été épargnées de rien par la vie, certaines ont des coups au cœur dont la profondeur est inimaginable.

Nous sommes toutes fragiles, nous sommes toutes plus ou moins blessées par la vie, nous portons tous des bagages plus ou moins malheureux, plus ou moins tragiques, plus ou moins cruels… mais je sais que certaines ont fait la guerre ou sont encore au front.

Elles se reconnaîtront.

Peut-être toi aussi ? Ou une amie proche, une voisine, une cousine ? Celles que l’on rencontre en retenant son souffle parce que vraiment, on n’a pas de mots pour dire combien on a mal au cœur pour elles. Celles à qui on ne sait plus comment demander :

« Comment ça va aujourd’hui ».

Celles qu’on voit au bout du magasin et qu’on évite parce que ce matin on n’a ni les mots ni la force émotionnelle de leur faire face. Celles qui auraient pourtant tant besoin qu’on soit là, qu’on rende hommage à leur vie, à ce qu’elles ont perdu, aux combats qu’elles mènent.

Mais comment faire ? Comment honorer nos Fabuleuses au front ?

Le premier pas se fait toujours au plus profond de notre cœur.

  • Ne pas juger ce qu’elles traversent et si oui ou non elles ont encore le « droit » d’être heureuses et de savourer leur vie.
  • Réaliser que je n’ai pas à être gênée des trésors que j’ai (et ne pas dénigrer les trésors qu’elles ont, même si leur forme est parfois atypiques).
  • Oser dire OUI à nos vies avec toute notre bouche, tout notre être.
  • Savoir que ça n’aidera personne si je me sens coupable de mon bonheur.
  • Réaliser que je n’allègerai en rien sa souffrance si je néglige ce que j’ai alors qu’elle, elle l’a perdu.
  • Comprendre que je ne facilite pas sa marche en voulant porter pour elle ses valises.
  • Ne pas essayer de relativiser sa situation.

Mais bien que je peux l’honorer en reconnaissant la présence de son fardeau, en lui laissant la place de le partager avec moi si elle le veut, de m’en parler, de me laisser lui murmurer qu’on est là, qu’on ne réduit pas sa tristesse, qu’on ne négligera pas notre bonheur.

« Tu fais bien avec ton fils porteur de handicap, tu sais ça ? » Un jour j’ai écrit cette phrase à une amie, petite phrase anodine, dite en toute sincérité. Elle en a pleuré.

« Prendre soin de son propre parent qui souffre de démence est un des plus grands stress qu’une personne peut éprouver, c’est normal que tu n’aies pas toujours la patience, ni les forces ». Alors que je parle avec cette dame qui pleure de me dire qu’elle n’en peut plus de devoir remettre sa maman au lit la nuit, je mets des mots sur sa détresse, sa fatigue, son fardeau, elle fait oui de la tête, on est juste ensemble et les larmes font partie de notre conversation.

« Oui mais Rebecca, toi,  tu es psy ! C’est ton métier ! »

Je sais, mais chacun de nous est un humain en route avec d’autres humains… et moi aussi je fais de grosses gaffes dans ce que je dis parfois. Si c’est le cas, je m’excuse, j’apprends, je n’abandonne pas, j’essaye. J’essaye de montrer aux autres Fabuleuses qu’elles sont importantes, qu’on les honore, qu’elles soient au front ou pas. Et la meilleure manière de le faire c’est d’apprécier ce que j’ai, de ne pas relativiser mes problèmes juste parce qu’ils semblent plus petits, d’oser l’inconfort quand je croise le regard d’une maman sur les genoux, de lui faire confiance et de lui tendre ma main tremblante.

Et si on essayait toutes un peu d’honorer nos Fabuleuses au front ? 



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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