Je suis de retour dans cette petite salle d’examen, sans fenêtre, plongée dans la pénombre, toujours aussi lugubre. J’attends le docteur Horace. Il entre d’un pas décidé, comme dans un tourbillon. À nouveau le gel froid et aqueux sur mon ventre et le « bipeur d’inventaire » qui n’a pas l’air de renvoyer des images très nettes. Des mesures. Un silence.
Et puis, les mots qui tombent, comme une guillotine :
« C’est petit, c’est trop petit. Ça n’évolue pas bien. C’est votre premier, n’est-ce pas ? Je crains que ce que vous a dit le docteur Céline s’avère nécessaire ».
Les mots, leur violence, leur image, me reviennent comme un boomerang : « pilule abortive ». « Aspiration ». « Hôpital ». Il pose la main sur mon bras en le tapotant d’un geste qui se veut consolateur. Puis il sort comme il est entré. Dans un coup de vent. Je suis sidérée. Je suis sonnée. Je suis seule. Je suis perdue. Je ne sais pas quoi faire.
Jamais je n’aurais imaginé qu’une grossesse, ma grossesse, puisse se passer ainsi.
Je m’appelle Diane et je suis aujourd’hui mère de deux enfants.
Avant de connaître ce bonheur-là, j’ai fait deux fausses couches consécutives dites précoces, c’est-à-dire lors du premier trimestre de grossesse. La situation que je décris est vécue par une femme sur quatre. Et pourtant, c’est un sujet qui est trop souvent tu et qui reste encore tabou. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire mon histoire, qui est celle de 200 000 femmes en France par an.
À toi, la Fabuleuse qui lit ces lignes,
je veux te dire que ce n’est pas parce que c’était « précoce », que c’était « rien », ou que c’était « banal ». Tu as le droit d’être triste, en colère, de trouver la vie injuste, d’éprouver de la jalousie en même temps que de la joie envers tes amies qui tombent enceinte et qui connaissent une grossesse évolutive. Tu en voudras aussi peut-être à ton corps qui n’a pas su porter la vie.
Toutes tes émotions, même les plus noires, sont légitimes.
Laisse-les vivre. Laisse-les s’exprimer. Et laisse-les partir. Ce que tu ressens est normal. Tu feras certainement face à des propos malheureux de la part des autres : « Ça n’était qu’un amas de cellules, pas une vraie grossesse », « La nature est bien faite », « Heureusement que cela arrive maintenant ! ». Les gens ne sont pas volontairement malveillants. Ils sont simplement maladroits, car de la mort, dans nos sociétés, on n’en parle pas. Alors, la mort de ce qui n’a existé que pour la mère et le couple…
Si tu vis en France, bien souvent, on ne te proposera que des solutions médicalisées. Et on t’incitera à t’y soumettre rapidement. Pourtant, généralement, on n’est pas à la minute près. Et tu peux aussi attendre que le corps se sépare naturellement du bébé. Ça n’est pas une solution à écarter d’emblée.
L’important est que tu puisses choisir ce qui te correspond le mieux, en fonction des circonstances.
Il n’y a pas une méthode meilleure que l’autre. Il y a ce que toi, tu souhaites. M’écouter et me faire confiance m’a menée à faire ma première fausse couche en Islande, dans un paysage absolument époustouflant. Quand concrètement j’ai perdu mon bébé, j’étais en paix avec ce qui était en train d’arriver. Je t’invite à exprimer tes ressentis auprès d’une personne bienveillante qui saura accueillir tes émotions, sans te juger. Me concernant, j’ai parlé à ma mère et ma sage-femme. Mais il existe des associations qui peuvent te soutenir, toi et ton Fabuleux.
Car une fausse couche, ça n’est pas rien.
Inutile de culpabiliser. Tout ça n’est pas entre tes mains. Tu ne peux pas contrôler la bonne évolution de ta grossesse ni la multiplication cellulaire. Ne t’en veux pas. Prends simplement le temps d’accepter ce qui t’arrive, à ton rythme. Tu n’es pas seule.
J’ai été tellement surprise du silence qui entoure les fausses couches que j’ai décidé d’écrire un livre Deux corbeaux et une cigogne, pour en parler haut et fort. Pour faire du bien, rassurer, réconforter, donner de l’espoir. Et pour montrer qu’il est possible de ne pas tout subir mais au contraire d’être actrice. Pour aussi sensibiliser les soignants à notre vécu et l’entourage, afin d’être accompagnée de manière bienveillante.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Diane Léonor.
Diane est mère de deux enfants. À la naissance de son premier bébé, elle suit son mari à l’étranger et décide de profiter d’une pause professionnelle pour écrire un récit où elle raconte son chemin vers la maternité, ponctué de fausses couches, sujet encore trop tabou. Elle est également la créatrice du site et du podcast Gloria Mama, florilège d’interviews de professionnels et de témoignages sur la maternité à travers le monde. Elle invite les femmes à s’interroger, s’informer pour être actrice de leur grossesse et de leur accouchement.