Elle voulait plaire à sa maîtresse de CP et à celles qui ont suivi. Elle ne voulait blesser personne. Elle aurait presque fait croire à son grand-père qu’elle avait la foi pour le voir sourire. Elle voulait être aussi ordonnée que sa sœur et aussi sauvage que sa meilleure amie.
Elle se perdait à trop vouloir être le meilleur de tout le monde autour.
Elle ne pouvait pas reconnaître et apprécier sa couleur, trop noyée dans les couleurs des autres.
Un jour, très tard, se sentant déjà vieille, elle a dit : « Et si je m’aimais comme ça ? ». Elle n’était pas la belle Africaine qu’elle voulait être à vingt ans. Elle s’était toujours sentie hésitante, floue, par petits bouts, des petits bouts de rien.
Elle n’était pas non plus la mère sereine qu’elle aspirait à être,
malgré tous les livres engloutis, malgré toutes les nuits blanches et les efforts incommensurables. Affolée par sa dépendance aux regards des autres, affolée par les années à attendre la validation et la reconnaissance des autres, affolée par le temps passé sans bien se (re) connaître, il était urgent de se sourire.
Il était urgent de desserrer la mâchoire, de poser ses pieds bien dans le sol et de relâcher la tension dans ses épaules.
Elle avait le droit de regarder les gouttes de pluie danser sur les vitres.
Elle pouvait faire des dessins avec la buée sur les carreaux et trouver ça joli. C’est quand elle prenait le temps de regarder la buée sur la surface des carreaux qu’elle se sentait vivante. Elle pouvait s’autoriser à prendre ce temps même si c’était à contre-temps. Elle pouvait choisir ses couleurs préférées. Elle pouvait décider d’y croire ou pas sans craindre de ne plus être aimée.
Viens par là, petite fille.
Tu es rayonnante en CP. Tu l’es tout autant à 20 ans, puis à 40. Je t’aime avec tes couleurs, je t’aime quand tu ris. Je t’aime quand tu comprends la vie à travers tes rêves, la nuit. Je sens combien tu caresses du bout des doigts une part du monde invisible à l’œil nu. Tu es floue, car ton âme embrasse tous les mondes et que ton amour est infini. Tu es imparfaite à force de courir après la perfection. Tes enfants ont bien saisi toute ta fragilité malgré tous tes efforts pour la dissimuler. Ils entendent bien ton cœur qui vacille au moindre haussement de voix, au moindre chagrin autour. Ils font et composent avec. Ils créent leur propre palette de couleurs en s’inspirant des tiennes et de toutes celles que la nature leur offre autour.
Petite fille vieillissante au cœur souvent écorché.
Il est urgent de te regarder et de te sourire, pas pour faire plaisir à la maîtresse, à grand-père ou aux enfants, mais pour toi, rien que pour toi.
Parce que tu es vivante et joyeusement imparfaite. Tu as toute la liberté de te réinventer si tu le souhaites, de créer tes couleurs et ton alphabet. N’aie pas peur de décevoir ni de te surprendre. La vie n’est pas (dé) terminée.
Tu es la seule à pouvoir te laisser de la place, à t’accorder des lettres Majuscules.
C’est important non, Toi qui tu enveloppes de mots et qui trouve dans l’écriture la meilleure couverture de consolation ?
Avec tout cet amour que tu déverses autour de Toi, tu peux bien t’en garder un bout, un petit bout de rien, et pourquoi pas même un grand bout pour aller tout au bout de Toi, et te sentir bien, debout.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Anne-Sophie Klymko, co-fondatrice de l’association « Parent’aise Solidaire ».