Voilà une question encore d’actualité en cette fin d’hiver, où nous avons goûté aux joies de la neige. Que ce soit à luge, à ski, chaussée de patins ou sur le derrière et de façon involontaire dans la cour de mon école, la glisse, je la pratique plus que jamais !
Mais là, il s’agit de bien autre chose.
La voix de mon amie, voix résignée et inquiète, m’a partagé ce matin au téléphone : « Je glisse… »
Je l’ai sentie pleine de culpabilité et de honte.
Elle qui tenait douloureusement mais fermement les rênes d’une vie plutôt compliquée, elle qui se montrait si résiliente à coup d’humour et de volonté, elle qui connaissait sur le bout des doigts ses outils de fabuleuse maman et savait les dégainer avec dextérité et à propos me confie sa peine:
« En ce moment, je n’y arrive pas, je ne vais plus sur les réseaux, je ne réponds plus au téléphone, je n’arrive plus à utiliser mes outils… je n’ai même pas entendu l’amie venue frapper à la porte ! Je glisse… »
Et derrière ce « Je glisse… » une tonne de culpabilité et de honte.
Comme le tas de neige emporté dans l’avalanche de sa lente mais dure descente.
J’accueille.
Je laisse la phrase de cette Villageoise faire son chemin en moi.
Je m’interroge : « Et si je glisse ? »
Cela me ramène des années en arrière.
Maman de jeunes enfants et jeune enseignante, je confiais un matin d’épuisement et de découragement à une autre maman mes difficultés en concluant mon discours d’un « Je rame ! » las et coupable.
Cette maman solo de cinq enfants qui avait eu, elle aussi, son lot de traversées difficiles m’avait alors rétorqué avec beaucoup d’amour et de douceur, la main sur mon bras, comme une caresse :
« C’est beau de ramer ! »
Étonnement d’une réponse à laquelle je ne m’attendais pas. Cette phrase m’avait redonné le sourire à travers mes larmes et avait ôté de mes épaules cette vilaine couverture lourde et rêche de culpabilité et de honte pour la remplacer par une couverture légère et moelleuse… Une fois enveloppée de cette douce couverture, voilà ce que nous disons :
« J’ai le droit de ramer, de n’être pas au top, à la hauteur… Au fond, ce n’est pas si grave… pas grave du tout même ! On peut même trouver ça beau ! »
C’est beau de ramer. C’est beau de glisser.
C’est ce que la vie t’offre en ce moment. C’est tout ce qu’elle a en magasin pour toi.
Aller à contre-courant ou remonter la pente ne t’avancera à rien.
Au contraire, cela t’épuise et te culpabilise de ne pas y arriver. Rame et laisse-toi porter par la force de l’eau. Glisse et laisse-toi aller à la vitesse de la pente.
La vie est là, une vie qui te semble repartir en arrière, prendre le chemin de tes progrès à l’envers. Mais non, en fait. Ce que tu as acquis l’est pour toujours. Juste que, comme le dit le proverbe, la vie écrit droit avec des lignes courbes. La vie est une lente montée, avec ses courants où je rame, ses descentes où je semble retourner en arrière.
Mais pour mieux repartir en avant… un peu comme une prise d’élan. Le fameux fond de la piscine à toucher pour mieux donner le coup de pied salutaire et nécessaire à la remontée !
Tu ne sais que ramer en ce moment… mais sache que le vent reviendra dans tes voiles.
Tu n’arrives qu’à glisser et redescendre la pente, mais souris car les montées reviendront, avec d’autres victoires à célébrer !
Laisse-toi aller, petite maman…
C’est ce qui me semble important. Ne va pas user tes forces et mettre toute ton énergie à refuser les rames ou t’accrocher à la pente.
Accepte que le mieux à venir passe par le moins bien de maintenant. C’est un peu à l’image de nos enfants qui, à la veille de grands progrès, nous surprennent souvent par une période de régression.
C’est l’hiver chez toi et tu glisses… quoi de plus normal et de plus beau ? Sous la neige qui t’emporte se cache les délices d’un printemps qui se prépare. Il sera fidèle au rendez-vous, tu le sais.
« Alors quoi, je me laisse glisser et c’est tout ? »
Il m’a semblé qu’une seule chose demeurait importante dans ces moments-là : le lien avec les autres, rester connectée pour glisser juste, glisser sans se briser la nuque au fond d’un ravin.
Cela demande de faire le pari de la vulnérabilité et de la main tendue, oser dire à nos proches, nos amis du premier cercle :
« Voilà, je ne vais pas très bien en ce moment, je n’arrive plus à avancer comme je le souhaiterais. Je rame, je glisse. Alors j’ai besoin de vous, de toi ! »
J’ai besoin de l’amie qui accompagne ma descente et veille à ce qu’elle se passe avec le plus de douceur.
J’ai besoin de l’amie du bouquet de fleurs posé discrètement à ma porte, l’amie du SMS qui demande des nouvelles, l’amie qui propose une aide, l’amie qui écoute simplement et m’accueille comme je suis.
Et puis j’ai aussi besoin de l’amie qui garde pour moi espérance. J’ai besoin de l’amie dans les yeux de laquelle je vois mon meilleur, l’amie qui croit en moi et sait que ce moment dur passera et que les beaux jours reviendront.
Des amies des moments doux et des amis garde-fous, souvent mère-veilleuses, qu’à mon tour je pourrais accompagner dans leurs glissades ! Toujours se souvenir que nous sommes tour à tour dans les deux camps comme le dit Brené Brown :
« Nous avons divisé le monde en deux camps : ceux qui proposent leur aide et ceux qui ont besoin d’aide. En réalité, nous sommes dans les deux camps. »
Nous sommes dans le camp de celle qui glisse et de celle qui accompagne.
Alors, oui, glisse mon amie !
Alors, oui, c’est OK, je glisse !
Et déjà d’y consentir en sachant que cela ne durera pas et que je suis entourée, que je ne suis pas seule, je la sens cette énergie de vie qui est là et me fera grimper, au moment voulu, d’autres sommets. Ma sève se cache et en secret prépare d’autres printemps.
Je glisse et me fais confiance, je glisse et fais confiance, portée par la vie et les bras de mes proches.
Je glisse… et c’est beau.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Anne-Cécile Maurice.