Courage, débrouillardise, détermination : rencontre avec les fabuleuses de l’armée !
Il y a 25 ans, Karine a uni sa destinée à un pilote de chasse. À chaque mutation de son conjoint, elle abandonne une tranche de vie :
« Certaines ont un sens du devoir plus développé. Moi, j’ai beaucoup de mal à tout laisser en plan pour reprendre ailleurs à zéro. Edmond Haraucourt le dit mieux que moi : Partir, c’est mourir un peu, c’est mourir à ce qu’on aime ; on laisse un peu de soi-même, en toute heure et en tout lieu. »
Être celle qui reste
Estelle, maman de 4 enfants, tous nés dans une ville différente, tempère :
« En 20 ans de mariage, nous avons déménagé 8 fois, ce qui n’est qu’une petite moyenne… Sauf à déprimer seule chez soi, il faut très vite aller vers les autres, s’engager dans des associations pour se faire des connaissances. On est obligées de se forcer un peu à s’ouvrir et, finalement, c’est très riche. »
Pendant les « opex » (opérations extérieures) et les innombrables missions en France auxquelles participent leur conjoint, ces dames s’organisent :
« J’ai la chance d’être assez indépendante de caractère et d’avoir relativement bien vécu ces absences prolongées, si ce n’est qu’elles n’ont pas toujours été faciles à gérer auprès des enfants et que c’est toujours quand nos hommes sont absents que tout lâche : voiture, machine à laver, santé… » confie Karine.
« Être celle qui reste, c’est usant. Mais après le départ tant redouté, la vie quotidienne reprend le dessus »,
confie Marie-Armelle, jeune maman d’un nourrisson, qui dit pourtant souffrir d’une appréhension terrible quant à la « première longue absence » de son conjoint, qui sera en opex d’avril à août. Clarisse, mariée à son « héros maréchal des logis-chef », tente de positiver :
« La première fois, j’en avais profité pour réfléchir à notre relation, me ressourcer, penser à moi, faire des trucs de filles… Paradoxalement, c’est presque un bol d’oxygène, car, pendant ces périodes, je pense moins à l’armée. »
Faire avec l’absence
Certaines sont contraintes de (re)découvrir l’amour épistolaire, ce qu’elles ne voient pas d’un mauvais œil : pour Karine,
« ces départs pimentent la vie de couple. Ils sont souvent l’occasion de mesurer son attachement et de se dire ou s’écrire des choses plus profondes ».
« Quand on se quitte, on se dit à tout à l’heure, parce qu’il y aura toujours une lettre. Et peut-être même un coup de fil ! Dix minutes au téléphone tous les dix jours… c’est déjà beaucoup ! »
sourit Clarisse, qui regrette d’avance l’absence du père de sa fille entre son cinquième et son neuvième mois sur terre. Pour Estelle, l’essentiel est de ne pas se laisser aller à la peur de l’accident :
« Il faut que la famille continue de vivre dans les meilleures conditions. Et puis, si je me laisse aller, mon conjoint s’en rendra compte et vivra mal, de son côté, son départ et sa mission. Donc on avale et on passe à autre chose. »
« J’essaie d’oublier ce mot, explique Marie-Armelle. Je ne m’autorise l’attente que le jour du retour. C’est d’ailleurs suffisamment pénible ! Bien souvent, on s’appelle entre copines pour faire passer le temps. »
Ou bien, à trépigner d’impatience, on fait « quinze fois le ménage le jour J », comme Emmanuela, maman de deux enfants. Estelle renchérit :
« Je n’attends pas mon mari, je vis. Je vis avec lui quand il est là. Je vis sans lui quand il est loin. »
Retrouvailles explosives
« Mon grand-père était également militaire, raconte Karine. Lui qui avait fait la Seconde Guerre mondiale, l’Indochine et l’Algérie disait toujours que les civils n’avaient pas la chance de connaître la joie des retrouvailles. Il y a toutefois une période de réadaptation à la vie familiale qui n’est pas toujours facile à négocier : place et autorité à retrouver auprès des enfants, se plier aux contraintes de la vie de famille, etc. »
Des retrouvailles explosives en joie, en rires et en tendresse, comme une seconde, troisième, quatrième lune de miel… en faisant abstraction, rappelle Marie-Armelle, de l’énorme sac de linge sale et de la paire de rangers immondes !
Armée, je t’aime moi non plus
Emmanuela, originaire du Cap-Vert, s’intéresse assez au métier de son mari pour connaître le jargon militaire au point qu’on lui demande souvent si elle n’est pas de l’armée elle aussi. Mais si elles ont un grand respect pour leurs hommes en kaki qui servent leur pays, les épouses de militaire considèrent l’armée à la fois comme un cocon et comme un étouffoir. Karine se confie :
« Pour être honnête, j’en veux à l’armée de n’avoir aucune reconnaissance pour nous et pour les sacrifices que nous faisons en épousant un militaire… Je me dis souvent qu’en termes de dommages et intérêts, ça irait chercher très loin ! »
« Nous faisons partie intégrante de la réussite des missions de nos époux, renchérit Clarisse. Sans une base arrière solide, les militaires ne peuvent pas faire leur métier ! Ils doivent se consacrer entièrement à leur mission et nous sommes là pour tout porter sur nos épaules en leur absence. »
Ne pas rester seule
« Tu le savais en l’épousant »
est certainement la pire chose que vous puissiez dire à une épouse de militaire.
« Souligner son courage, la valoriser, serait déjà un bon début ! »
On peut aussi lui prêter main-forte en l’absence de son mari (garde d’enfants, courses, conduites…) ou quand elle arrive dans un nouveau lieu de mutation (bonnes adresses, notamment médicales).
« Et vous, femmes de militaires, si personne ne vous félicite, rappelez-vous que si votre conjoint vous a choisie, c’est parce qu’il vous trouve exceptionnelle et qu’il sait que vous êtes la seule compagne capable de l’accompagner sur ce chemin ! »
Au moment du premier départ de son conjoint qu’elle a très mal vécu, Emmanuela a bénéficié du soutien physique et matériel de la cellule d’aide aux familles :
« Je n’avais personne à qui passer le relais afin de me reposer un peu ou prendre soin de moi. J’ai pu par exemple bénéficier de quelques heures en halte-garderie pour ma fille. »
Les réseaux de femmes de militaires comme l’Anfem(Association nationale des femmes de militaires) ont une importance primordiale pour permettre à chacune de se confier à des femmes en mesure de comprendre leurs défis.
« Cela dit, explique Marie-Armelle, on n’ose pas trop se plaindre les unes aux autres, car on ne connaît pas toujours la situation de notre interlocutrice, qui est peut-être encore plus pénible que la nôtre. Le peu de plaintes des femmes de militaires m’impressionnera toujours. »
Patience, détermination, dépassement de soi, force, amour, sens des priorités et de l’organisation, débrouillardise… et un maître mot : adaptation ! Conjointes de l’armée, on ne le vous dit pas assez, alors je vous le dis aujourd’hui :