« Vous suivez toujours votre traitement ? »
La sage-femme qui fait mon suivi gynécologique fixe son écran et me fuit des yeux par la même occasion.
« Oui, je suis toujours sous anti-dépresseurs. On a enfin trouvé le bon médicament et le dosage adapté. »
Oui, comme tant d’autres, j’ai perdu pied.
Épuisement maternel doublé d’un burn-out professionnel, le tout bien servi dans une dépression sévère.
La sage-femme lève les yeux vers moi avec cette gêne qui embourbe toutes les conversations concernant ma dépression et me demande comment je vais aujourd’hui. Je lui souris et lui réponds sereinement :
« Je vais bien maintenant, vraiment bien. La vie reprend. » Et son visage se détend.
Au fil de la consultation, la sage-femme me glisse au travers de la conversation qu’elle soupçonne une dépression chez l’une de ses patientes. Et elle ajoute :
« Je n’ai pas réussi à le lui dire, ni à le lui faire comprendre. Quand je lui ai dit qu’elle avait peut-être besoin d’aide, elle m’a répondu : “Vous auriez quelque chose à me prescrire ?”. »
Et là, mon cœur s’est serré. Parce que je sais que cette femme est la plus mal placée pour comprendre ce qui lui arrive. Comme je l’ai été moi aussi. Et j’ai appris que le temps seul n’arrange rien lorsqu’on a franchi la limite de l’épuisement. Quand on boit la tasse, attendre que ça passe ne résout rien.
“Toutes les mamans sont fatiguées”
L’une des premières difficultés, dans le processus de l’épuisement maternel et/ou de la dépression, c’est de prendre conscience de son propre état. Quand je suis devenue maman, j’ai été totalement effrayée par la responsabilité de prendre soin d’une autre vie que la mienne, débordée par la multiplication des tâches, épuisée par les nuits sans sommeil, dévorée par ce petit être en demande de disponibilité totale, bringuebalée par des émotions sans commune mesure avec ce que je connaissais avant (merci les hormones !).
Et moi qui pensais que donner la vie serait pour moi une source de bonheur et d’épanouissement inédits ! Vous savez, à l’image de ces pubs où l’on voit la mère tenir dans ses bras un bébé qui dort, dans la douce lueur d’une fin de journée… Bien sûr, mon petit trésor me donnait beaucoup de joie et d’amour ! Mais je me retrouvais aussi frustrée, en colère, culpabilisée par ce que je ressentais (ou ne ressentais pas), par ce que je n’arrivais pas à faire, perdue dans la multitude d’injonctions qui pleuvaient de toutes parts, souvent avec les meilleures intentions du monde.
Mais je faisais de mon mieux, et même plus.
Je voulais bien faire, tout ce qu’il fallait pour que mon enfant soit heureux. C’était mon but ultime, le nouveau sens de ma vie. Et j’ai donné au-delà de mes ressources, croyant que le sacrifice était la seule option possible pour ne pas couler.
- Dans cette course folle contre le temps, la fatigue, les vagues d’émotions, comment aurais-je pu analyser objectivement ce qui m’arrivait ?
- Et au-delà, comment aurais-je pu admettre que le sacrifice ne suffisait pas ?
- Je donnais tout et ça ne suffisait jamais ?
Non, ce n’était pas envisageable. J’allais y arriver : autour de moi, d’autres mamans y arrivaient. Toutes les mamans sont fatiguées, il fallait juste tenir le coup, dormir un peu…
Dormir un peu… C’est le leitmotiv des parents. Et c’est une bonne solution si vous êtes juste fatiguée physiquement. Donc si vous allez bien en dehors du fait que vous n’avez pas eu un temps de sommeil en adéquation avec vos besoins physiologiques. Me revient en mémoire une discussion au cours de laquelle, après avoir échangé avec une amie sur les difficultés de nous occuper de nos enfants en bas âge, celle-ci avait conclu :
« Heureusement, ils nous apportent plus qu’ils ne nous demandent, non ? »
Et face à son regard interrogateur, je n’avais pas osé lui avouer qu’à ce moment-là, je n’en étais absolument pas sûre. Et même, que j’avais du mal à voir ce qu’ils m’apportaient tant ce qu’ils me demandaient me semblait jour après jour plus insurmontable. C’est certainement là un signal d’alerte, lorsqu’on sent que les joies se sont éteintes, étouffées par l’épuisement.
À cette allure, je n’étais plus en état de prendre le temps pour réfléchir à la situation et analyser mes besoins. D’ailleurs, ça faisait bien longtemps que je les avais mis de côté. Pour tout tenir à bout de bras, pour gérer la maison, l’arrivée de ma deuxième, les travaux, le déménagement, le travail, les amis, le couple, j’avais hypothéqué tout ce qui ne me semblait pas prioritaire, en un mot, tout le temps pour moi.
Et comme ça ne suffisait pas, voyant d’autres mamans gérer ça “fingers in the nose”, j’en ai conclu que c’était moi qui n’étais pas à la hauteur. À partir de là, et sans m’en rendre vraiment compte, tout s’est insidieusement délité.
- Trop de fatigue pour savourer un bon moment avec mes enfants, mon conjoint, mes amis ;
- Trop de tâches pour lire, me détendre, sortir, prendre soin de moi ;
- Trop de soucis pour rêver, imaginer, désirer, aimer.
Quand je n’ai plus réussi à cacher mes larmes au travail, mes collègues attentionnés m’ont conseillé d’aller voir un médecin pour me faire arrêter. Comment, ça ? M’arrêter ? Mais pourquoi ?
J’étais la seule à n’avoir pas compris.
Évidemment, raconté aujourd’hui avec le recul, ça semble improbable. Mais si l’amour rend aveugle, la fatigue nous fait perdre nos repères.
Quand je suis arrivée chez le médecin, je ne savais pas quoi lui dire.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? Je ne sais pas… Je n’arrive pas à gérer la vie. »
Il m’a fallu beaucoup de temps pour accepter son diagnostic, qu’il avait pourtant euphémisé en « syndrome dépressif ». J’ai mis six mois avant d’accepter d’utiliser le terme de « dépression » ! J’en souris aujourd’hui, mais ça montre bien à quel point quand on se sent au bord du gouffre, on refuse d’affronter la sentence, on ne veut pas lâcher, parce qu’on se dit qu’il reste encore une chance d’éviter la chute alors qu’on est déjà en train de glisser.
Oser en parler
Consciente aujourd’hui de mon déni d’alors, je me demande comment ma sage-femme aurait pu aider sa patiente en difficulté (puisque c’était son intention). Je comprends bien le malaise des gens lorsque vient le sujet de ma dépression. Certains compatissent mais craignent de se voir accusés de pitié mal placée, voire d’intrusion. D’autres se savent totalement impuissants et ne trouvent pas d’issue constructive à la conversation.
À cela s’ajoutent les préjugés et la méconnaissance de la maladie, toujours difficilement compréhensible tant qu’on ne l’a pas vécue. Et quand bien même on connaît le sujet sur le bout des doigts, interroger une personne sur une situation qui la met en difficulté est toujours délicat.
Face à tout ça, je n’ai pas de solution miracle :
à chacun de chercher les mots, les gestes qui peuvent montrer le soutien, la présence et la sollicitude pour ces mamans ballottées par la vie. La bienveillance et le non-jugement restent assurément des aides précieuses.
Ce qui me semble important cependant, c’est de parler.
- Parler aux mamans en difficulté, aux mamans épanouies, aux papas, aux futurs parents, aux proches et aux connaissances.
- Parler de la dépression, de l’épuisement maternel, des mamans qui n’en peuvent plus.
- Dire que la vie n’est pas toujours facile à vivre, que les plus beaux événements de nos destins sont parfois aussi ceux qui nous font trébucher, serait-ce la naissance de l’enfant que nous aimons plus que tout.
- Dire que la vulnérabilité fait partie intégrante de notre nature humaine et qu’elle peut se révéler un formidable atout d’évolution, une fois la souffrance apaisée.
À celles qui vivent des moments de détresse terrifiants, à celles qui ont le sentiment que si elles lâchent, leur monde va s’effondrer, à celles qui boivent la tasse, qui perdent pied, à celles qui ont perdu le goût de tout, je voudrais simplement poser ma main sur leur bras et leur dire du fond du cœur deux choses essentielles auxquelles elles ne croiront sans doute pas :
- « Vous n’êtes pas seules. »
- « Vous pouvez vous en sortir. »
Moi non plus, je n’y croyais pas.
C’est même le propre de la dépression, d’avoir perdu tout espoir. La douleur noie tout, on ne voit plus rien, plus personne, seule reste la souffrance. Alors, s’en sortir…
Je ne vous fais aucune promesse, je ne vous parle que de mon expérience.
Ça fait quatre ans, l’âge de ma princesse. Quatre ans de tsunamis, de tempêtes, d’effondrements et déchirements en tous genres. Mais au bout de ces quatre ans, le soleil se lève à nouveau, le ciel se dégage et je retrouve enfin un horizon de vie. Aujourd’hui, grâce à ma thérapie, au soutien et à l’amour de ceux qui m’entourent, je redonne un souffle nouveau, un élan vital à la femme que je suis, je m’écoute et je réinvente mon avenir. Alors si j’ai pu le faire, vous le pouvez aussi.
Et à toutes les mamans, quelle que soit votre situation :
Prenez soin de vous !
Ce témoignage nous a été transmis par une Fabuleuse maman, Cécilia.