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Dans ma tête

En théorie, je suis une mauvaise mère

maman famille
Marie Hildwein 10 janvier 2022
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Moi, c’est Marie, la trentaine, des hanches de jument, le sourire chevalin qui va avec et un joli rire de chèvre. Sans vouloir me vanter, je suis vraiment une jolie femme. Et intelligente avec tout cela. Je suis experte en nutrition, en baroque latino américain, en permaculture, en psychologie de comptoir, en empathie, en peinture impressioniste, et en méthode de rangement.

Par contre, chez moi, la théorie se heurte irrémédiablement à la pratique.

Pendant que je lis un traité de botanique, mon persil crève de soif, toute tentative de mélanger deux couleurs débouche sur une ignoble bouillasse, je préfère le chocolat aux légumes, et si mon cerveau est structuré, mon intérieur l’est beaucoup moins.

En soi, ce n’est pas un problème. Sauf que j’ai eu des enfants. Et ça n’a pas manqué. J’avais bien lu le petit traité de l’allaitement en 18 volumes, j’ai lamentablement échoué au supermarché au bout de quelques jours pour acheter un paquet de cette poudre maléfique qui allait rendre mon enfant obèse et insécure.

Théorie 1 – Pratique 0.

Il allait falloir travailler sur moi, sans quoi mes enfants auraient de gros soucis de croissance. Je continuais mes études en sciences de l’éducation. Je découvris avec stupeur que le but n’était plus d’avoir des enfants bien élevés, respectueux et bien brossés, mais qu’il fallait tout faire pour qu’ils aient confiance en eux. Un enjeu de taille pour la mère que je suis, terriblement angoissée à l’idée d’être jetée au milieu d’une horde de parents avec qui elle devra converser. (Ne nous méprenons pas, j’aime les gens, mais comme pour les enfants, plutôt un par un).

Heureusement, il existe aujourd’hui des milliers de méthodes, toutes plus miraculeuses les unes que les autres pour leur transmettre cette noble valeur. En selle, Marie! J’apprends d’abord par cœur de jolies tournures de phrases positives, je saisis un crayon pour que mon enfant fasse de sa colère une œuvre d’art, et me voilà à grimer mes consignes en des choix aussi absurdes qu’artificiels.

Théorie 2 – Pratique 0.

Je creuse le sujet encore un peu et m’aperçois que les faux choix manipulent. Et la manipulation est partout. Je corromps la capacité de mes enfants à savoir eux même ce dont ils ont besoin. C’est bien vrai qu’ils mangeaient des brocolis tant que tante Bertha n’avaient pas introduits le chocolat dans leur alimentation. (Remarque : penser à désencombrer la tante Bertha de nos vies. Elle est la cause de tous mes malheurs).

Théorie 3 – Pratique 0.

Après des milliers de kilos de légumes qui ne daignaient pas passer la barrière de leurs lèvres, et 300 nuits hachées au mixeur, après des heures à me flageller parce que j’avais été violente pour éviter à la chair de ma chair de finir sous une voiture, je sentis ce petit dragon terré au fond de moi grandir, grandir.

Mais je continuais à lire que c’était si simple d’être une maman respectueuse. Il me fallait juste de la patience. Beaucoup de patience. De la patience jusqu’à la lune et retour. Et 500 euros pour la formation.

Théorie 4 – Pratique 0.

Me voilà avec des cernes jusqu’au menton, et une confiance en moi qui s’atrophie alors que j’essaie de bâtir celle de mes enfants. C’est alors que je trouve enfin la clé à tous mes problèmes. La colère que j’éprouve lorsque je dis 52 fois à mes enfants de ranger leur chambre n’est rien que la réminiscence de mes traumatismes d’enfant. Je cherche un thérapeute pour soigner mon enfant intérieur. Mais tout de même, j’ai du mal à voir le rapport entre ce “tu n’as pas de personnalité” qui m’a profondément touchée, et cet énervement quotidien que je ressens. Tu sais, celui du matin, quand mes enfants sont en plein pugilat, que la vaisselle n’est pas faite, qu’il faut partir dans cinq minutes. Je respire profondément et j’hurle une affreuse litanie. (Attention : seulement après avoir compté très lentement jusqu’à dix ; c’est la méthode, paraît-il). Et je demande à Google si d’autres parents regrettent aussi d’avoir des enfants.

Je n’y arriverai jamais.

Théorie 5 – Pratique 0.

Quand on est allongé sur le champ de bataille, il n’y a plus rien à faire que de dérouler le fil de sa vie. Je vois ma mère qui hurle de fatigue car personne n’est venu mettre le couvert. Mes jouets dans un sac à la cave, car je n’ai pas rangé ma chambre depuis une éternité. Mon père qui m’oblige à dire bonjour à la vieille voisine qui m’effraie un peu. Ma maîtresse qui me renvoie de cours après un doigt d’honneur de ma part. Tous ces souvenirs, les ai-je enfouis parce qu’ils sont la cause de tous mes problèmes et qu’ils font trop mal ?

Non, je ne ressens aucune douleur. Et même de l’affection pour ces adultes, qui avec leurs qualités et défauts m’ont fait grandir.

Je vois enfin la lumière au fond du tunnel :

Deux petites têtes blondes me sortent de mon coma avec des bisous baveux, et des câlins virils. Je sens leur soulagement de voir leur maman se relever, de la voir sourire, faire des blagues nulles et se dandiner sur de la musique folle.

Même si le dragon hausse le ton quand c’est l’heure de mettre le couvert, ou quand il y a du sable jusque dans le lit conjugal. Même s’ils doivent aller se coucher alors que le soleil brille encore parce que papa et maman ont besoin de respirer un peu. Même si on doit rentrer là maintenant, et qu’il n’y a pas de négociation possible. Même s’il faut souvent s’excuser et se réajuster. Même s’ils doivent goûter les brocolis. Et même si j’ai transmis à mon grand le désamour de tout lieu grouillant de monde. Heureusement, il sait compter jusqu’à cent.

En théorie, je suis une mauvaise mère. En pratique, on est heureux.



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Cet article a été écrit par :
Marie Hildwein

Maman au foyer, je vis d’autodérision et d’eau fraîche. J’aime partager une version sans filtre de ma maternité et de ma vie de femme : celle où la maison est parfois rangée, les repas parfois équilibrés, les cernes souvent creusées, les joies et les peines toujours partagées. J’habite en Allemagne avec mon Fabuleux, mon Joyeux et mon Malicieux, et nous portons avec nous Silas, notre aîné, décédé quelques jours après sa naissance.

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