Éduquer un garçon : on marche sur des œufs - Fabuleuses Au Foyer
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Éduquer un garçon : on marche sur des œufs

Agathe Portail 6 novembre 2024
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Elles sont douées, drôles, efficaces, intelligentes, fortes, autonomes, courageuses, perspicaces.

Ils sont… bizarrement les mots nous manquent.

Que valoriser chez un petit homme sans le pousser dans les stéréotypes dont on est justement censés le sortir ? Qu’il est fort ? Surtout pas, on en ferait un violent. Qu’il est courageux ? Et après on va se plaindre qu’il prend des risques, qu’il ne réfléchit pas, et ça donne les rodéos urbains, oui madame. Qu’il est intelligent ? Pour qu’il se sente autorisé à couper la parole à sa sœur, sa copine, ses collègues, ses profs, sa boss ? Non merci, le manspreading ne trouvera pas sa source chez nous. 

Chère Fabuleuse, à l’heure où je t’écris, je ne suis pas bien sûre de ce qu’il est souhaitable de valoriser chez mes fils.

Oui, comme toutes les femmes de ma génération, je trouve merveilleux que nos garçons disposent d’un bagage émotionnel et lexical suffisant pour ne pas se trouver enfermés dans leur sensibilité comme un homme souffrant d’un syndrome locked-in. Nos fils ont le droit de pleurer, de douter, d’exprimer. Ils ont le champ libre pour explorer leur fibre artistique (ma limite : découper les rideaux), la cuisine leur est ouverte et ils prennent leur tour comme les autres lorsqu’il s’agit de mettre la table et de faire tourner la lessive. Fort bien.

Mais sur quels œufs je me retrouve à marcher, dès que je veux les complimenter sur ce qu’ils sont, sans avoir à me soucier de ce qui est cliché de genre, conditionnement, masculinité toxique ?

Pour être honnête, j’ai la chance d’avoir des garçons qui sont deux rats de bibliothèque et deux filles qui sont des tourbillons d’énergie (elles font des pompes les doigts dans le nez). Chez nous, les stéréotypes sont pas mal bousculés d’entrée de jeu. Pour autant, comme toi peut-être, je me sens souvent écartelée au moment où je dois poser des mots qui serviront à la construction de mes fils. J’ai peur qu’à la fin, ils n’aient rien reçu, parce que j’aurais tourné ma langue beaucoup trop longtemps dans ma bouche avant de souligner leur générosité, leur gentillesse, leur attention aux autres, leur implication dans les tâches ménagères, leur courage quand leurs sœurs hurlent à l’araignée, leur pugnacité dès qu’il faut rentrer du bois sous la pluie, leur résistance quand on a besoin de soulager la dernière de son sac à dos après trois heures de randonnée. Sous le prétexte qu’il est bien normal qu’ils prennent leur part, qu’on ne doit pas valoriser ce qui pourrait conduire à de l’agressivité, qu’il faut étouffer ce qui nourrit le sentiment de supériorité, qu’ils doivent laisser la place sous la lumière, nous nous trouvons parfois démunies, sans mot.

Pourtant, nous aimons nos petits bonhommes. Et nous aimons ou avons aimé les grands bonhommes que sont leurs pères.

Et nous aimerions que ces garçons prennent leur place dans le monde. Et nous espérons qu’ils seront des pères aimants et impliqués. Et nous — les parents, la société, les institutions — attendons d’eux autant que ce que nous attendons de nos filles, mais il semble que le mode d’emploi a disparu. Te souviens-tu, chère Fabuleuse, de ce livre à la couverture bleue faussement vintage 211 idées pour devenir un garçon génial et de son pendant féminin (et rose) 211 idées pour devenir une fille brillante  ? Ils sont sortis en 2007 et je les ai achetés tous les deux, hurlant de rire en lisant la quatrième de couverture. Aujourd’hui, on en ferait un autodafé sur le bûcher de l’interchangeabilité des sexes, et peut-être qu’on n’aurait pas tort (quoique je reste persuadée qu’un poil de second degré ne nuit jamais). Pour autant, il semble loin, le temps où il était facile de fabriquer un homme. 

Chez les fabuleuses mamans, nous avons des filles. Nous avons aussi des fils.

Et je crois ne pas être la seule à aimer autant mes fils que mes filles. À souhaiter leur épanouissement. À tenter de valoriser chez eux ce qui doit être développé, mais aussi ce qui est déjà là. À identifier leur potentiel individuel sans détourner le regard de tout ce qui est intrinsèquement lié à leur identité et à leur corps d’homme. Je ne veux pas être celle qui dit à ses garçons : « On n’a pas besoin de ta force. Ni de ton courage. Ni de ton assurance. Ni de tes prises de risque. Ni de ta tendance à protéger les plus jeunes ou les plus faibles. Ni de ta persévérance. Ni de ta force de conviction. Ni de ta voix qui porte. Ni de ton ingéniosité. Tout ça, c’est poubelle. » 

Nous n’avons pas la recette de « comment on fait un garçon »

(même si on a une idée de comment on fait les bébés), mais nous savons quels pères nous voulons pour nos enfants, quels hommes nous aimons, quels pères nous ont élevées, dans quelle société nous voulons vivre. Que cela nous aide, toi, moi, à trouver les mots pour accompagner les hommes en devenir dont nous avons la responsabilité et que nous voulons aider à se déployer ! Car ils ont eux aussi quelque chose à apporter qui leur est propre. À toi, à nous, de chercher ce qui nourrit un garçon, ce qui le fait pousser droit, ce qui le rend chouette, vivant, épanoui, ce qui le canalise et lui donne la certitude de sa juste valeur. Ce qui fait de lui un pilier, un père et un ami. 



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Cet article a été écrit par :
Agathe Portail

Maman de 4 enfants (très) rapprochés et girondine d’adoption, Agathe Portail écrit des romans adultes édités chez Actes Sud, Calmann Levy et J'ai lu, mais aussi des romans historico-fantastiques édités par Emmanuel Jeunesse.

https://www.fnac.com/ia9173370/Agathe-Portail

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