Maman et belle-maman de quatre enfants dont les âges vont de la première année de fac au CE2, Marie Chetrit est chroniqueuse chez les Fabuleuses depuis 2018. Sa spécialité : explorer la vie de famille et les déboires éducatifs. C’est avec un regard de biologiste, sa formation initiale, qu’elle a commencé à s’interroger sur le bien-fondé d’invoquer les neurosciences pour appuyer certains discours éducatifs. Elle s’attache sur son blog à confronter les résultats réels produits par les neurosciences avec les interprétations éducatives souvent abusives qui en sont faites. Ce blog nourrit un premier livre, Éducation positive : une question d’équilibre ?*, paru chez Solar en 2021. Elle propose ensuite à son éditeur de traduire en français la méthode éducative d’Alan Kazdin.
Marie, tu as porté le projet de traduction et préfacé « Éduquer sans s’épuiser », d’Alan Kazdin*. Comment expliques-tu que la fatigue, voire l’épuisement, soit un corollaire de l’action d’éduquer ? Est-ce un phénomène récent ?
Cette fatigue associée à l’éducation est un phénomène lié au fait que le rapport à l’enfant a changé. Aujourd’hui, la majorité des grossesses sont désirées et les enfants arrivent au monde dans un contexte politique et écologique assez pesant. Les parents se sentent beaucoup d’obligations vis-à-vis de leurs enfants et ce, dans une société très individualiste qui crée de l’isolement. L’éclatement géographique qui rompt l’entraide familiale, la difficulté à vivre sur un seul salaire, qui génère un cumul des casquettes parfois non choisi, et la monoparentalité créent des conditions favorables à l’épuisement. Deux chercheuses belges en psychologie, Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak, ont montré que le niveau de burnout parental est corrélé au niveau d’individualisme de la société. Aujourd’hui, de nombreux parents pleins de bonnes intentions se trouvent en situation d’échec, car la pression qu’ils se mettent est telle qu’ils s’épuisent.
Qui est l’auteur, Alan Kazdin, et sur quoi se base son approche ?
Alan Kazdin est un docteur en psychologie, professeur à l’université de Yale dans le Connecticut, qui avait ouvert un centre parental afin d’y recevoir des enfants manifestant de gros problèmes comportementaux, le plus souvent issus de contextes familiaux et sociaux complexes. Petit à petit, il a répondu à des demandes de familles plus classiques. L’approche de Kazdin est novatrice en France, car elle porte dès l’origine une différence culturelle avec l’approche française, qui a beaucoup privilégié la thérapie par la parole. Aux US, l’approche est davantage axée sur les thérapies comportementales et cognitives. On ne cherche pas nécessairement à expliquer, mais plutôt à agir sur le comportement. Le livre original, « The Everyday Parenting Toolkit » a été publié en 2013, il y a déjà dix ans, bien avant que la confrontation des approches éducatives ne soit au centre des débats en France, et il se présentait comme une boîte à outils, et non une alternative à un courant éducatif particulier.
La traduction et la publication en France ont été en partie motivées par le contexte autour de la polémique du Time-out. Pourquoi les questions éducatives sont-elles aujourd’hui génératrices d’une telle crispation ?
L’éducation des enfants comporte des enjeux narcissiques forts, chacun prétendant au titre du « meilleur parent ». Il y a aussi beaucoup d’adultes qui ont été maltraités durant leur enfance, et voient leurs souffrances réactivées par l’exercice de l’autorité parentale. La question éducative devient alors nerveusement et émotionnellement très chargée et polarisée. Par ailleurs, il faut reconnaître que le microcosme éducatif est un milieu qui génère beaucoup de passion, voire de « fanatisme ». D’ailleurs, la méthode Kazdin connaît ses détracteurs : on lui reproche de pratiquer une forme de conditionnement. Cette critique tient de la confusion : ce n’est pas parce qu’on modifie un comportement chez son enfant que l’on altère sa personnalité. Conditionner son enfant à se brosser les dents ne va pas le transformer profondément. Au contraire, grâce à ce conditionnement, on libère du temps (de conflit et d’argumentation en moins) que l’on va consacrer à l’épanouissement de sa personnalité.
En quoi consiste la méthode ABC construite et prônée par Alan Kazdin ?
L’acronyme ABC correspond à Antecedents, Behaviours, Consequences, que nous avons traduits en ACC : Antécédents, Comportements, Conséquences. L’idée est de comprendre et articuler ces trois piliers de l’action éducative.
Antécédents : agir pour créer le contexte favorable à la survenue du comportement souhaité.
Nous, parents, sous-estimons l’impact de notre attitude générale et, entre autres, du ton de notre voix sur la réponse de l’enfant. L’enfant est sensible à la manière dont on formule la demande et cette manière, les « antécédents », conditionnent sa réponse à notre demande. Plutôt que de hurler une demande d’une pièce à l’autre, il faut soigner la forme : s’approcher, établir un contact physique pour attirer l’attention de l’enfant, lui parler d’une voix douce, en souriant, de manière affirmative et en commençant par « s’il te plaît ». Il faut formuler une demande claire et spécifique et la séquencer en étapes, surtout pour les plus petits. Plutôt que de dire « prépare-toi, on part à l’école », il vaut mieux formuler ainsi : « Nous partons à l’école dans 10 minutes, s’il te plaît enfile tes chaussures » puis quand l’action est terminée, il devient possible de demander « maintenant, mets ton manteau, s’il te plaît », et enfin « s’il te plaît, prends ton cartable et monte dans la voiture ».
Parfois, on peut offrir à l’enfant un choix pour lui laisser une prise sur l’action : avec ou sans aide, tout de suite ou après le dîner… Faire précéder une demande importante de petites demandes de moindre importance auxquelles les enfants vont répondre « oui » les prépare à se montrer coopératifs à l’énoncé de la demande importante. « Tu veux bien m’ouvrir la porte s’il te plaît ? » aidera à introduire le « s’il te plaît, peux-tu mettre la table ? ». Tous ces facteurs favorisent l’acceptation de la demande et rien que ceci pacifie déjà l’ambiance.
Comportement : ils découlent normalement des antécédents, on peut vouloir les encourager ou les corriger.
Imaginons qu’on veuille agir sur le comportement « tu n’es pas gentil avec ta sœur ». Il vaut mieux donner un objectif positif pour le remplacer, c’est-à-dire identifier les opposés positifs. Par exemple, plutôt que « arrête d’embêter ta sœur », dire « parle avec douceur à ta sœur ». Chaque fois que l’enfant se comporte bien dans le cadre d’une tentative de modifier un comportement négatif, il faut le récompenser. Cela nous demande parfois de nous débarrasser de notre biais négatif (« il est toujours si agressif avec sa sœur ») pour identifier ces moments positifs (« il vient de lui servir un verre d’eau sans rechigner »). D’après Kazdin, la récompense consiste simplement à féliciter d’une manière très chaleureuse, chaque fois qu’il y a la survenue du bon comportement. Ce renforcement positif va agir pour que le comportement recherché devienne plus fréquent et plus soutenu.
Lorsqu’il s’agit d’installer un comportement n’existant pas du tout, comme la maîtrise de soi au cours d’une colère, il est très efficace de pratiquer le jeu de rôle. Dans un contexte de calme, le parent propose : « Nous allons jouer au jeu de la colère. Tu vas faire une bonne colère. Tu me demandes un bonbon, je refuse, tu te mets en colère, mais sans taper et sans jeter des objets par terre. Allez, go ! » Une fois la « bonne » colère faite, le parent félicite l’enfant d’avoir respecté les modalités convenues : « check, tu as fait une bonne colère ». Il faut répéter le jeu de rôle plusieurs fois, à différents moments. L’enfant modélise ainsi sa colère et le jour où il la fait en conditions réelles, il va se rapprocher de ces modalités simulées, ce dont il faut chaleureusement le féliciter. Cela fonctionne extrêmement bien.
Conséquences : c’est la réponse éducative qui vient après le comportement.
Certaines conséquences sont positives et viennent renforcer le comportement : c’est ce que Kazdin nomme « la louange spéciale » ou les félicitations. D’autres sont neutres et certaines enfin sont négatives (sanctions). Il faut qu’un enfant reçoive, globalement, cinq fois plus de conséquences positives que négatives.
Toute conséquence doit être immédiate, proportionnée et légère. Par exemple, la conséquence « louange spéciale » doit être effusive, venir tout de suite après le comportement qui la déclenche, elle doit préciser l’objet de la satisfaction : « bravo, tu joues calmement aux legos avec ta sœur, c’est super ! », et peut s’associer à un petit contact physique (check, câlin, bisou, pression affectueuse sur l’épaule). Les tableaux à points peuvent venir en support (faire coller des gommettes), mais il faut toujours accompagner le « point » de la félicitation qui va avec : la satisfaction parentale exprimée à l’enfant est la meilleure des récompenses.
Si récompense il y a, il faut choisir des récompenses immatérielles comme 15 minutes de lecture en plus le soir, le droit de faire une cabane dans le salon ou tout autre privilège immatériel. Ensuite, le parent va progressivement diminuer l’intensité et la fréquence des félicitations, et le comportement acquis va se maintenir : la bonne habitude est prise.
La sanction n’est jamais l’outil de première intention face à un comportement que l’on souhaite modifier. Il peut s’agir par exemple de pratiquer :
– L’ignorance (en réaction à une action de l’enfant qui visait à attirer l’attention), quitter la pièce sans réagir du tout.
– La sanction proprement dite, comme le time-out (exclusion temporaire de l’enfant pour lui ôter le renforçateur qu’est la réaction parentale) ou le retrait de privilège, est à utiliser en tout dernier recours. La violence physique et les hurlements ne servent à rien, en plus d’être nuisibles. Mais mettre l’enfant à l’écart le temps qu’il descende en pression est intéressant.
Quel est le top trois des écueils dans lesquels les parents de bonne volonté tombent le plus souvent ?
– la récompense matérielle, car elle devient la motivation principale du bon comportement et, lorsque la récompense cesse, le bon comportement aussi.
– le cercle vicieux de la punition, où on s’habitue de plus en plus à punir et l’enfant à être puni. Il se crée une accoutumance des parents et de l’enfant, qui conduit à l’escalade. L’accoutumance neutralise également toute forme d’efficacité. Les sanctions doivent être légères et brèves. Il arrive que les sanctions soient disproportionnées par rapport au comportement (privation de sortie pendant quinze jours pour un mensonge par exemple), car elles ne répondent plus à une recherche d’efficacité dans la modification du comportement (il faut dire la vérité), mais à un désir d’inculquer le sens de la justice et de la morale (le faux témoignage est une chose grave qui peut être punie par la loi).
– le manque d’immédiateté autant dans la récompense que dans la sanction, qui empêche l’enfant d’associer le comportement et la conséquence.
Peux-tu nous raconter l’effet Waouh d’un outil délivré dans ce livre, dans ta vie de maman ?
Le défi est un autre outil qui marche bien, souvent avec les petits. Lorsque j’ai dit à mon fils « je parie que tu n’es pas capable de te brosser les dents et d’être au lit dans 5 minutes. », il m’a dit : « mais si je peux, tu vas voir ! » Et en 4 minutes, c’était bouclé. Le renforcement positif agit un peu comme une paire de lunettes roses : pour valoriser les bons comportements, il faut d’abord les voir, donc tu te mets à observer et à redécouvrir tout ce qui se passe bien et que tu ne voyais pas forcément avant d’orienter ton regard dessus. Cela libère du biais négatif et c’est très appréciable.
S’il devait ne rester qu’une phrase de ce livre, que choisirais-tu ?
« Le renforcement du comportement désiré est la clé de notre démarche : la punition seule n’apprendra pas à l’enfant ce qu’il doit faire ».
Eduquer sans s’épuiser ! Les outils pour une éducation positive qui pose des limites.*
*Liens affiliés