Dernières paroles à ma fille - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Dernières paroles à ma fille

Hélène Bonhomme 18 novembre 2019
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Sur la peau de mon cou, je peux sentir le va-et-vient de l’air qui s’échappe de ses narines. Les poings serrés, elle dort. Je n’ose plus bouger. Ses quelques kilos de vie posés sur mon buste réchauffent mon corps tout entier.

Dehors, ce sont des trombes d’eau qui arrosent le jardin. À chaque inspiration, mes poumons soulèvent doucement ce petit corps repus et entièrement détendu.

Au sommet de cet instant de grâce, une bouffée d’angoisse me serre la mâchoire. Je suis arrachée à ma profonde gratitude par des images catastrophiques qui défilent dans ma tête. S’il lui arrivait un terrible malheur, est-ce que je survivrais ? Ou bien, si je devais mourir demain, est-ce qu’elle parviendrait à se construire sans sa maman ?

Ça y est, j’ai glissé dans l’un de ces questionnements métaphysiques qui débarquent régulièrement dans ma tête sans prévenir. J’organise une réunion mentale pour déterminer ce qui serait le pire : qu’il lui arrive malheur à elle ou qu’il m’arrive malheur à moi ? Évidemment, je ne lui souhaite pas de partir avant moi. Mais je ne lui souhaite pas non plus d’être orpheline — quand on y pense, ce sont ceux qui restent qui souffrent le plus.

Donc, ce serait quoi, le pire ?

Ne trouvant pas de réponse convenable à ce sinistre dilemme, je pars du principe que dans l’ordre des choses, je mourrai certainement la première. Je m’invente alors une nouvelle interrogation avec laquelle me triturer le cerveau :

“Qu’est-ce que je lui dirais, si ma fin était proche ?”

Peut-être me direz-vous que je suis folle de me poser des questions pareilles. Moi, je pense à toutes les filles qui ont dû dire au revoir à leur maman, à toutes les mamans qui ont dû dire au revoir à leur fille. Je pense aussi à celles qui n’ont pas fait l’expérience de tels adieux, mais qui savent que la fin arrivera un jour — ces gens qui ont une certaine conscience de la mort, une sorte de lucidité qui les suit comme leur ombre et qui fait qu’ils savent vivre encore plus pleinement chacune de leurs journées.

Dans un sommeil qui gagne en profondeur, ma fille s’affale de plus en plus lourdement sur ma poitrine. Elle semble parfaitement sereine. Moi, je fais tourner mon cerveau. Quelles seraient les dernières paroles que je lui adresserais, si je devais partir pour toujours ?

Au fond, qu’est-ce qu’une mère devrait transmettre à sa fille ?

“Toujours s’essuyer de l’avant vers l’arrière, jamais de l’arrière vers l’avant” : la base, au même titre que “Ne jamais poser ses cuisses sur la cuvette des toilettes publiques”. Et aussi : “Choisis bien l’homme de ta vie car ton père cassera violemment la gueule au premier garçon qui te fera du mal”.  Et bien sûr : “Ne laisse jamais personne te faire douter de ta beauté, ni de ton intelligence, ni de tes capacités.”

Mais dans le calme de cet après-midi gris, je cherche le conseil ultime. Celui que je donnerais à ma fille si je ne pouvais en choisir qu’un seul. Tandis que son petit corps chaud monte et descend doucement au rythme de ma respiration, je me dis qu’en fait, si c’était la fin, je lui parlerais d’amour.

Je sais, je suis un peu fleur bleue — ça m’arrive souvent quand il pleut. Et en plein post-partum, ça doit clairement avoir un rapport avec mon activité hormonale. Peu importe. L’amour, c’est quoi ? Je dois dire que je ne sais pas vraiment. Pour l’instant, mon chemin m’a surtout menée à la découverte de ce que l’amour n’est pas.

Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’est le contraire de l’amour ? La plupart des gens pensent que le contraire de l’amour, c’est la haine. Mais le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine. C’est la peur. Les psychologues vous le diront, il n’y a que deux familles d’émotions : les émotions qui se rapportent à l’amour, et celles qui se rapportent à la peur.

En fait, c’est la peur qui mène à la haine, à la guerre, à la destruction. L’amour, quant à lui, mène à la paix, comme un bébé qui dort sur le ventre de sa mère, sans se poser de questions.

Le contraire de l’amour, c’est la peur, et notre plus grande peur, c’est de ne pas être aimé. Alors on développe tout un tas de stratégies pour attirer l’attention, pour noyer nos déceptions, pour cacher nos imperfections.

En guise de dernières paroles à ma fille, je lui dirais que par dessus tout, je voudrais lui épargner ce sentiment d’insuffisance. Que je donnerais tout pour qu’en tant enfant, elle ne se sente jamais abandonnée. Tout pour qu’en tant que jeune fille, elle ne se sente jamais jugée. Tout pour qu’en tant que femme, elle n’ait jamais à se battre pour se sentir acceptée. 

Tout pour qu’elle n’ait jamais peur de n’être “pas assez” pour être aimée.

Je lui dirais que je ne suis pas en mesure de lui éviter la peur, et que ça me déchire le coeur. Je lui dirais que la peur fait partie de la douloureuse destinée des humains. Mais je lui dirais que l’amour aussi. Je lui dirais : cherche l’amour, le vrai, l’amour qui t’aime telle que tu es, l’amour comme un matelas moelleux sur lequel tu peux te reposer parce que tu n’as rien à prouver. Cet amour-là, certaines personnes seront capables de te le donner, parfois. Mais eux aussi seront imparfaits. Même quand ils feront de leur mieux, les gens te blesseront.

Je lui dirais : moi qui t’ai portée, moi qui t’aime tant, j’aimerais t’aimer parfaitement. Pourtant, à cause de mes propres blessures, je ne serai jamais en mesure de le faire à cent pour cent. Alors cet amour vrai, cherche-le tout au fond de toi.

Je lui dirais : l’amour n’est pas une conséquence, l’amour est une cause.

Ce n’est pas parce que tu es belle, intelligente ou talentueuse que les gens vont t’aimer. C’est parce que tu vas choisir de croire que tu es aimée, malgré tes défauts, que les gens vont te trouver belle, intelligente et talentueuse. Ne cherche pas à gagner l’amour des autres. Cherche plutôt, par tous les moyens, à croire que l’amour est déjà là. Apprends à t’aimer toi-même, et apprends à autoriser les autres à t’aimer, même quand tu n’es “pas assez” — justement quand tu n’es “pas assez”.

S’il ne devait me rester que sept mots, je lui dirais :

“N’oublie jamais que tu es aimée.”

Les yeux fermés, les poings serrés, elle rêve à la vie qui est devant elle. Je n’ai toujours pas bougé. Pourquoi attendre la fin ? Allongée sur mon canapé, je prononce mes dernières paroles à ma fille. J’espère pouvoir lui répéter ces sept mots encore un million de fois. Mais si ce n’est pas le cas, je les lui aurais au moins dits une fois, et même si elle est encore trop endormie, trop jeune, trop confiante pour en comprendre le sens, je me convaincs qu’ils sauront percer les frontières de son âme.

Si un jour je ne suis plus là, rendez-moi un service :

dites à ma fille que je l’aime.



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Cet article a été écrit par :
Hélène Bonhomme

Fondatrice du site Fabuleuses au foyer, maman de 4 enfants dont des jumeaux, Hélène Bonhomme multiplie les initiatives dédiées au bien-être des mamans : deux livres, deux spectacles, quatre formations, la communauté du Village, une chronique sur LePoint.fr et un mail qui chaque matin, encourage plusieurs dizaines de milliers de femmes. Diplômée de philosophie, elle est mariée à David et vit à Bordeaux.

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