Ces mères que nous avons eues - Fabuleuses Au Foyer
Vie de famille

Ces mères que nous avons eues

Hélène Dumont 30 avril 2020
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« Maman ! »

Iris me caresse la joue en me regardant, les yeux rougis par une colère qui vient de l’épuiser. J’ai mille et unes raisons de lui refuser ce geste de tendresse. Quelques minutes auparavant, elle exaspérait ses frères lors du petit-déjeuner. Il a fallu que je la fasse sortir de la cuisine afin que chacun retrouve la tranquillité nécessaire pour démarrer la journée paisiblement. Dans mon cœur de maman je lui en veux de nous faire vivre cet éclat de rage matinal, c’est épuisant. 

Mais Iris, une fois calmée, est venue me chercher.

Elle a posé sa tête contre mon ventre en m’enlaçant le bassin. Alors je me suis baissée pour plonger mon regard dans le sien et ses petites mains se sont posées sur mon visage :

« Maman ! »

Passée la tempête, Iris sait qu’elle peut revenir. Nous nous retrouvons, quand bien même je devine qu’elle me déteste encore un peu de ne pas lui avoir donné raison, quand bien même je sens que je n’ai pas tout à fait digérer son excès d’humeur. 

« Est-ce que je l’aime ? »

Mais Iris sait : elle peut revenir auprès de moi et répondre à cette question qui lui retourne le cœur, car dans le mien, la réconciliation sera toujours possible.

Désirée même : je crève de ces moments de dispute, inhérents à la vie de famille, à la construction du lien. Nous saignons tous de ces conflits d’amour qui, pourtant, sont une façon de grandir, de se structurer, de trouver sa place, de dépasser ses frustrations et ses élans de haine. À condition. Oui, à condition de pouvoir retrouver l’autre avec la conviction que l’on ne sera pas jugé, rejeté, humilié, mis de côté, oublié. À condition d’avoir confiance en la capacité d’amour, imparfaite et pourtant bien vivante, de ce parent, père ou mère. 

« Maman »

Représentation de douceur, nid d’affection dans lequel on voudrait se lover. Mais la vie est parfois rude. Et de mère, il n’y a pas, ou plus, ou de façon instable.

Je ne parlerai pas des mères que nous sommes, mais des mères que nous avons eues, plus particulièrement de celles qui n’ont pas pu ouvrir leurs bras ou leur cœur assez grand, assez longtemps, bien souvent malgré elles. Je parlerai de ces mères que vous questionnez en entretien, de celles qui vous ont manqué, enfant, et que vous appelez encore aujourd’hui, tandis que les vôtres vous murmurent « maman »

  • Mères absentes, montées au ciel trop tôt, laissant la maison vide de leur présence, le chagrin posé sur la table qui ne comptera plus leur couvert.
  • Mères absorbées dans les méandres de la maladie psychique, hospitalisées dans l’espoir de retrouver un peu de vitalité, de réalité.
  • Mères violentes, qui n’ont pas su ou pu, se relier à la chaleur de la maternité, souvent engluées dans leurs histoires enfantines où aimer rimait avec danger. 
  • Mères délaissantes, dépouillées de leurs bras consolateurs, trop occupées à courir ceux des amants pour colmater leurs hémorragies affectives.
  • Mères aveugles au scandale de l’inceste.
  • Mères incestueuses dont il faut de se dégager pour grandir.
  • Mères croulant sous le poids de la responsabilité maternelle, épuisées, apeurées, au pied du mur, fuyant le plus loin possible comme un instinct de survie, laissant à d’autres le soin de contenir la fratrie abandonnée.
  • Mères courant « par monts et par vaux » pour se réaliser, dévouées aux autres. Mais pas à elles-mêmes.
  • Mères envahies que l’on ne sait plus atteindre, envahies de tristesse, oubliant leurs enfants « parmi les meubles du salon ». 
  • Mères « courage », que l’on aime, que l’on admire, mais qui ont manqué.
  • Mères imparfaites, mères défaillantes, à qui l’on pardonne en devenant mère, touchée par la vulnérabilité de celle qui nous a portée.

« Maman »

En entretien, vous me parlez de vos mères : douceur, tendresse, beauté, mystère, absence,  contradiction … Ce lien filial et maternel, quand il est « suffisamment bon »*, est un atout sur lequel s’appuyer pour devenir à son tour maman, trouver des repères, avoir confiance en notre capacité à faire grandir un enfant sans lui faire de mal. 

« Mais que faire, comment devenir mère quand on n’a pas eu de mère “normale”, absente, malade (…) ? », me demandez-vous. 

Cette question est délicate,

La réponse intimement liée au cheminement de chacune et au souvenir de sa propre mère. Il y a effectivement des mères qui sont parties trop tôt, mais qui ont débordé d’amour et de vie auprès de leurs enfants. Et il y a des mères qui ne sont jamais parties, mais dont le manteau de violence ou de tristesse a profondément marqué. L’impact ne sera pas le même. Si nos mères nous ont manqué, ce qui manque d’avantage, c’est la conviction d’avoir été aimé, comme un héritage d’amour.

« Je pensais que c’était de ma faute », se rappelle une femme. Se dégager de la culpabilité est l’un des premiers pas à faire. Bien souvent, l’enfant n’est pas en mesure de comprendre ce qu’il se passe. « Pourquoi est-elle fâchée contre moi ? », pourra-t-il se demander longtemps, sans avoir de réponse. 

Je pense aussi à cette maman qui me disait que, n’ayant pas eu de modèle maternel fiable et prévisible, elle s’était construite une image de mère parfaite à atteindre pour ne pas faire souffrir ses enfants comme elle avait souffert elle-même. Un idéal inaccessible que l’imprévu de la maternité déstabilisait sans cesse, la renvoyant à sa soi-disant incompétence. 

Pourtant, il est possible de se réconcilier avec une image de mère bienveillante, car si notre mère ne l’a pas été, d’autres femmes ont pu nous offrir une posture maternelle rassurante et inspirante. Nos mères sont-elles toujours celles qui nous ont portées et nourries ? 

Je pense encore à cette femme, tendrement liée à sa tante, une mère de cœur présente, guidant son pas sur le chemin de la maternité. Je crois en ces rencontres riches et déterminantes qui offrent la possibilité de réparer, de modifier, de transformer nos vies.

Relire et comprendre son histoire permet de découvrir cette confiance maternelle positive qui nous habite comme un trésor à dépoussiérer, parfois à rafistoler. Cela passe souvent par une rencontre nouvelle avec la mère que nous avons eue et par la reconnaissance des mouvements de haine et d’amour que nous avons pu éprouver à son égard. Certaines d’entre vous choisiront de pardonner, d’autres pardonneront et couperont les liens, d’autres ne pardonneront pas, ou pas encore.

Quoiqu’il en soit, cette façon de repenser le lien à sa mère et de le consoler quand il a été défaillant, nous permettra d’ouvrir les bras encore plus grands pour accueillir nos propres enfants, embrasser leurs larmes, leur agressivité, leur joie et leurs rires, autorisant chacun, parents et enfants, à partir et à revenir sans éprouver la peur de nous perdre et de ne plus être aimés. 

* Expression empruntée à Donald Winnicott, La mère suffisamment bonne, Petite bibliothèque Payot, Édition Payot et Rivage, 2006. 



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Cet article a été écrit par :
Hélène Dumont

Après avoir suivi un parcours de Lettres et Civilisations, Hélène est devenue professeur des écoles puis conseillère conjugale et familiale. Très attachée aux problématiques de l’articulation du maternel et du féminin, elle travaille aujourd’hui en cabinet libéral au rythme de sa vie de famille : un chouette époux et 6 enfants ! Elle est l'auteure du livre Terre éclose : la sexualité au féminin.
https://www.helene-dumont-ccf.com/

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