La rentrée est passée et tu es peut-être déjà en train de charger les photos de l’été sur un site d’album photo (tu as dans ce cas droit à toute ma béate admiration). Parce qu’on l’occulte souvent, mais l’été n’est pas uniquement la saison des glaces, du sable, du soleil et du maillot. C’est aussi la joie des selfies avec et sans lunettes de soleil, devant la mer / la montagne / la glycine du jardin / les enfants qui pataugent dans la piscine en plastique / l’herbe roussie. Oui, parce qu’il est important d’informer nos quatorze groupes whatsapp et éventuellement notre réseau social de la fabulosité de nos vacances.
C’est ici que surgit le fameux choc :
“C’est à moi, ce visage plissé, toutes pattes d’oie dehors, tâches de soleil apparentes et marques d’acné fluos ?”
Oui, l’été étant l’un des seuls moments où je me prends en photo pour “donner des news”, je prends brutalement conscience que mon visage a pris un an dans la tronche, que lorsque j’ai le soleil de face, mon nez froncé fait courir partout un réseau de rides et ridules dignes du plan du métro, que l’acné de mes trente-sept ans ne disparaît pas totalement sous le bronzage…
Déjà que je ne misais pas sur la silhouette, faudrait-il en plus que je complexe du visage ?
Stop immédiat, chère Fabuleuse qui, peut-être, fut tentée de lister tout ce qui dans ton visage te déçoit, t’inquiète, te perturbe ou te rebute (je te vois zoomer avec frénésie en pestant sur la trop bonne définition de ton smartphone). Ça suffit l’auto-dénigrement. Je te propose de faire un tour. Est ce que tu connais le petit jeu que chacun de mes enfants a adoré en son âge tendre ?
“Je fais le tour de ma maison” (l’index de maman passe doucement sur le contour du visage de sa progéniture)
“Je ferme les volets” (maman rabat les oreilles de sa progéniture qui glousse)
“je ferme les fenêtres” (maman ferme les paupières de sa progéniture qui les rouvre aussitôt)
“je m’essuie les pieds sur le paillasson” (maman chatouille le menton de la progéniture qui rit à gorge déployée)
“je ferme la porte” (tentative de maman de fermer les lèvres de la progéniture)
“et… je tourne la cléééé” (maman tord le nez de sa progéniture qui explose d’un rire nerveux tellement elle a eu peur d’avoir mal et en fait non-pas-du-tout-que-c’est-drôle !)
Ce jeu, chère Fabuleuse, n’est pas si puéril qu’il y paraît. Le fait de lier le visage à une maison me semble particulièrement pertinent.
Ce visage, tu l’habites, il n’est pas une façade, il est un lieu de vie et c’est vraiment une chouette révélation.
Je te propose de découvrir sous tes propres doigts tout ce qui fait l’histoire de cette maison. Avec tendresse.
Pour ma part, je redécouvre sous le parcours de mon index :
- La verrue qui se cache dans mes cheveux (j’ai longtemps cru que c’était un grain de beauté mais il faut se rendre à l’évidence, je crois) et qui me fait penser à cet oncle qui a découvert son propre pouvoir de guérisseur en appuyant chaque jour sur une verrue qui lui poussait au sommet du crâne. À ce qu’on raconte, elle a vraiment disparu. Ça me fait sourire.
- La cicatrice laissée par la dermato qui a tenté de m’offrir un joli visage lisse pour mon mariage. L’acné étant très affectueux, il n’oublie pas de laisser de jolis souvenirs en partant. Cette cicatrice, je l’adore, elle me rappelle l’émoi de mes fiançailles, ces questions auxquelles j’ai trouvé quelques réponses treize ans plus tard, l’effervescence pas toujours très confortable des préparatifs. Elle est le signe d’un certain progrès en termes de maturité.
- Les ridules autour de ma bouche. Il parait que ça s’appelle le plissé-soleil. C’est parce que je dors sur le côté. Grâce à ces ridules, j’ai découvert les rouges à lèvres qui ne filent pas. Mon père a les mêmes. Mais il ne porte pas de rouge à lèvres. Sur lui ça fait plutôt coup de griffe de Scar (le méchant oncle de Simba). Sur moi, ça fait plutôt Madame Irma. Je suis experte en bouche cul-de-poule et ça m’aide tous les jours dans ma vie.
- La marque sur mon nez, toujours rouge, qui correspond à un horrible coup de soleil reçu en 1997. C’est un souvenir de vacances vivace qui me rappelle l’enfance en suspens, juste avant l’adolescence.
- Le pli qui marque chacune de mes pommettes, juste sous la cavité orbitale. Celle de gauche est apparue à la naissance de mon deuxième enfant, celle de droite à l’occasion d’un deuil au cours duquel j’ai découvert la puissance de la consolation de couple. Je suis heureuse de porter avec moi ces deux moments clés de ma vie.
Chacune des aspérités de ton visage a son histoire.
Elles sont la marque de ton parcours, de ce qui fait de toi aujourd’hui une personne plus dense, plus profonde, plus humaine que celle que tu étais au temps de la lisse fraîcheur de ton épiderme. C’est peut-être bateau, du type “chaque ride a son histoire”, mais je t’engage à essayer quand même. Avec tendresse et peut-être une pointe d’émerveillement au sujet des pans d’histoire personnelle que sait faire ressurgir ton visage. Que dit ta dent ébréchée ? Que raconte cette ride du lion, la petite cicatrice sous le menton, cette marque ancienne de piercing, ce sourcil de gauche trop épilé ? Raconte-toi pour aimer mieux ce visage qui t’est si fidèle.