Toi et moi, on s’est tout raconté : le marathon des études, la joie du premier job, la fierté du premier appartement, les rêves de prince charmant, l’euphorie du mariage qui transparaît sur ces — vieilles ! — photos où nous apparaissons tour à tour en robe blanche.
Et puis un jour, je t’ai annoncé que j’allais avoir des enfants (oui, deux en même temps).
Le temps a passé. Et toi, tu ne m’as jamais annoncé que tu attendais un bébé. Silence radio à ce propos. Jusqu’au jour où tu m’as dit, à peu près en ces termes :
“On ne peut pas en avoir.”
Ma première réaction a été de me sentir con. Tu sais, cette demi-seconde de bug mental qui suit l’annonce d’une mauvaise nouvelle par quelqu’un que tu aimes. Une demi-seconde qui suffit à l’angoisse pour te monter à la tête et te faire chauffer les tempes : “Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ?” Comme une envie de fermer sa gueule plutôt que de taper à côté en disant une ânerie qui ferait encore plus de dégâts.
Dans la même demi-seconde, un sentiment de culpabilité est venu me prendre à la gorge. Des enfants, moi, j’en ai deux, et ils sont en pleine forme. Tellement en forme qu’ils m’épuisent parfois. Et que je râle (un peu) trop souvent à propos du fait que depuis plus de 6 ans, ils foutent le bordel dans ma cuisine, ma salle de bains, ma voiture, ma tête et mes émotions. Alors voilà, face à toi et à ton parcours du combattant pour avoir un bébé, sans garantie que ça fonctionne un jour, je me sens mal. Un peu comme une enfant capricieuse prise en flagrant délit de rechigner à manger sa soupe, alors que d’autres n’ont même pas un grain de riz pour se maintenir en vie. Qu’est-ce qui cloche chez moi ? Pourquoi je n’arrive pas à profiter pleinement de ce pour quoi d’autres donneraient tout ?
Et surtout : quoi dire ?
Quoi vous dire, à vous mes amies qui souffrent de ne pas avoir d’enfant et qui commencent à stresser, voyant la quarantaine se rapprocher dangereusement ?
Quoi te dire, à toi que j’ai rencontrée le mois dernier, à la sortie de l’un de mes spectacles ? Tu t’es approchée un peu confuse, en disant comme une confession : “Je ne suis pas fabuleuse, je n’ai pas d’enfants.” J’aurais pu te gronder, franchement ! Heureusement que la fabulosité ne dépend pas du nombre de bébés que l’on a portés ou pas.
Quoi te dire, à toi qui m’a contactée via la communauté des fabuleuses, et qui me demandes de traiter le sujet sur notre site ? Ça fait longtemps que j’y pense, et je n’ai jamais osé. Mon travail se nourrit de mon histoire, et mon histoire, c’est d’être passée par l’épuisement maternel. Je ne me sens donc vraiment pas légitime pour publier quoi que ce soit à propos de la difficulté à devenir maman, voire du deuil de la maternité.
Depuis tout ce temps, j’espère que des fabuleuses m’enverront leurs témoignages à propos de la souffrance de ne pas tomber enceinte, alors qu’elles le voudraient tant : comme ça, ce seront elles qui en parleront, et beaucoup mieux que moi ! Mais au fond, si je ne lance pas le sujet de conversation, je n’ai aucune chance de connaître leurs histoires…
Ne rien dire serait bien plus confortable.
Publier ce texte me fait sentir terriblement vulnérable. Je ne voudrais tellement pas parler maladroitement, ni blesser inutilement. Mes soucis de maman me paraissent tellement dérisoires face à ta souffrance. Pourtant, je me souviens de ceci :
“La comparaison est un mirage. C’est comme vouloir peindre un Monet dans une voiture qui roule sur une ruelle faite de pavés. On a tous des vies très différentes, des bagages très différents — pour comparer, il faudrait prendre tous les facteurs en compte et ça, vraiment c’est impossible”, comme l’a si bien expliqué Rebecca dans Les petits et les grands bobos.
Alors voilà, je me lance, je tremble un peu, ce sera peut-être maladroit mais ce sera ma lettre pour toi, mon amie qui ne peux pas avoir d’enfant.
Je ne m’adresse pas ici à celles qui par choix, ne souhaitent pas avoir un bébé.
Je pense à toi qui voudrais devenir maman mais qui ne peux pas. Ça ne fonctionne pas, tu te demandes pourquoi, tu te demandes pourquoi toi, tu te demandes si tu tiendras le coup, tu te demandes si toutes ces questions ne vont pas finir par te faire péter les plombs, tu y penses à chaque fois que tu croises une poussette dans la rue, et tu retournes ça dans ta tête, encore et encore, le matin vers quatre heures, et tu ne sais pas comment retrouver le sommeil.
À force de te demander ce qui cloche chez toi, tu sens ton estime de toi qui s’érode peu à peu, comme un rocher sous la pression de l’eau d’un torrent ou — moins poétique — comme un jambon sec sous la lame de la trancheuse du boucher.
Cette propension à se demander ce que l’on a mal fait, pourquoi on n’y arrive pas et pourquoi ça a l’air tellement plus simple pour les autres… voilà peut-être notre premier point commun, à toi et moi : la honte qui vient se loger dans notre gorge comme une grosse boule d’angoisse.
Toi tu angoisses parce que tu n’arrives pas à être mère, moi parce que je n’arrive pas à être une bonne mère.
Alors, quoi te dire, à toi mon amie qui ne peux pas devenir maman ?
Peut-être simplement :
“Tu peux m’en parler, si tu veux.”
“Tu peux ne pas m’en parler, si tu ne veux pas.”
“Est-ce que tu m’autorises à te demander, de temps en temps, comment ça va par rapport à ça ?”
Quoi te dire, à toi mon amie qui ne peux pas devenir maman ?
Peut-être simplement :
“Merci de m’écouter quand j’en peux plus avec mes gosses.”
Et :
“Je peux t’écouter quand tu n’en peux plus d’attendre.”
Quoi te dire, à toi mon amie qui ne peux pas devenir maman ?
Peut-être simplement :
« Merde, ça fait chier. »
“Ta valeur ne dépend pas de la fonctionnalité de ton utérus.”
“Je t’apprécie.”
“Si tu as envie de pleurer un gros coup, je suis là.”
Qu’on l’espère trop longtemps ou qu’on se la prenne de face, la maternité est une vague qui vient renverser tous nos plans.
Qu’elle se fasse désirer ou qu’elle remplisse nos journées, elle nous écrabouille à tous les coups.
Alors à toi, mon amie qui ne peux pas avoir d’enfant, je dirais simplement que tu as le droit de souffrir, que tu as le droit de kiffer ta vie aussi, parce que les deux ne sont pas incompatibles. Je dirais : “Ne laisse pas cette épreuve grignoter ton estime de toi”. Je dirais : “Tu es fabuleuse, et vraiment ça change tout.”
Et toi qui es maman et qui comme moi, ne sais pas toujours quoi dire à tes amies qui passent par là : et si tu leur envoyais maintenant un petit « je pense à toi » ?