17h30. Il me reste deux heures. Deux heures top chrono pour transformer ce champ de mines en un intérieur paisible et délicieux. Ce soir, nous recevons des invités. J’élabore un plan d’action. 1. Neutraliser les éventuels perturbateurs : “Surprise les enfants ! Que diriez-vous d’un petit dessin animé ?” 2. Hiérarchiser les tâches : par où dois-je commencer ? Éliminer les moutons de poussière sous la table du salon, descendre les poubelles honteusement débordantes, décrasser la gazinière écœurante ? 3. Jogging lâche, manches retroussées, musique à fond : j’entre dans l’arène.
18h30. État de l’avancement : salon OK, salle à manger OK, cuisine OK. Gigot au four, crémant au frais, enfants pas encore survoltés. Merci Oui-Oui, j’ai toujours su que je pouvais compter sur toi. Je tiens le bon bout. Je m’attaque aux chambres des enfants. Mon mari va encore avoir la superbe idée de faire visiter la maison aux invités. Or il ne faudrait surtout pas qu’ils voient ce tas de jouets jonchant le sol, nageant dans un mélange de bave et de miettes de pain.
19h. J’ai presque fini. La maison commence à sentir bon et même à ressembler à quelque chose. Cerise sur le gâteau, il me reste trente minutes pour m’habiller et me maquiller. Je suis si fière de moi !
19h15. Zut, j’ai oublié les WC. Il serait quand même dommage que nos hôtes s’arrêtent à cette infâme cuvette, sans constater que tout le reste de la maison lui, est nickel ! Un peu de canard, un coup d’éponge et c’est une affaire qui roule.
19h20. Oh, il y a des cheveux au fond du lavabo. Par respect pour nos amis, je ne peux pas laisser ça. Enfin, surtout par respect pour moi. J’ai fait 95% du travail. Je ne vais quand même pas courir le risque d’être jugée sur les 5% restants ! Allez, un dernier petit effort. Et plus vite que ça !
19h25. Je suis en nage. Les enfants se tapent dessus en hurlant, comme à chaque fois que je cède à la tentation de les laisser devant Oui-Oui pour faire le ménage. La sonnette va retentir dans quelques minutes. Il faudrait peut-être que je m’habille !
19h27. Dernier tour d’horizon : mince, le canapé est couvert de poils de chien ! Ils vont être horrifiés ! M’être donnée autant de mal pour qu’au final mes invités repartent dégoûtés par des poils qui leur collent au pantalon ? Hors de question. Je ressors l’aspirateur pour régler l’affaire.
19h30. J’ai réussi à calmer les enfants avec quelques bretzels prélevés sur l’apéritif à venir. Je suis à peu près correctement habillée et j’ai tartiné une bonne tonne de déodorant sous mes aisselles. Mission accomplie !
19h31. Ils ont un peu de retard. Je suis sûre qu’ils vont être impressionnés par mon intérieur. Comment ne pas l’être, par une maman de jumeaux qui gère aussi bien sa maison ? Je suis parfaite. Parfaite et… un peu maniaque.
19h32. Au secours. Avec un intérieur aussi nickel, ils vont penser que je suis tarée. Ils le savent très bien, que j’ai des jumeaux de trois ans. En réfléchissant deux secondes, ils vont vite comprendre que cette mascarade ne peut pas être vraie ! Je vais me faire prendre en flagrant délit de ménage compulsif. Au secours !
19h33. Pour éloigner les soupçons, je mets un peu de pagaille dans les coussins, je sors quelques petites voitures de la caisse à jouets et laisse traîner les torchons sur la table.
19h34. Stop. Mais qu’est-ce qui me prend ? Suis-je réellement en train de déranger ce que j’avais rangé ? Après avoir passé plus de deux heures à astiquer ma maison, pour impressionner mes invités sous couvert de les honorer, suis-je réellement en train de mettre en scène un peu de cafouillis, pour feindre le naturel et ne pas passer pour une maniaco-dépressive ? Oui, c’est exactement ce que je suis en train de faire : essayer de me montrer parfaite, le genre de femme tellement parfaite qu’elle est même capable de lâcher prise sur certains détails.
Ironie du perfectionnisme qui exige tout de moi : une maison parfaite, mais pas trop, pour que je sois parfaite, mais pas trop, puisque c’est ça la perfection.
19h35. Je me déteste.
(…)
Le perfectionnisme, c’est faire 95%, puis paniquer à l’idée d’être jugée sur les 5% qui ne sont pas faits. C’est cette histoire vraie d’une femme qui passait l’aspirateur tous les jours, dans toute sa maison. Un jour, elle a réveillé son mari à quatre heures du matin, pour lui dire qu’elle avait oublié de passer l’aspirateur dans le salon ce jour-là. Le pauvre homme a eu beau lui expliquer qu’elle pourrait le faire le lendemain, cette femme s’est levée en pleine nuit pour aspirer le salon : “Tous les jours, je travaille dur pour aspirer ma maison. Si quelqu’un venait justement demain et voyait cette pièce non aspirée, à quoi aurait servi tout le reste de mon travail ?”
Ce texte est extrait de mon livre : C’est décidé, je suis fabuleuse – Petit guide de l’imperfection heureuse.