Après une longue journée de canicule, je m’installe enfin sur ma chaise longue pour profiter de la fraîcheur du soir. Sur la peau de mon ventre bien tendu, des masses informes se promènent de gauche à droite et de bas en haut :
- un petit pied ?
- une petite main ?
- des petites fesses ?
Être enceinte, ça relève un peu de la science fiction — un alien qui flotte à l’intérieur de son propre corps : quand on y pense, c’est carrément chelou.
7 ans après, je vais redevenir maman.
La deuxième fois, on se pose moins de questions. Pourtant, c’est fou comme on oublie : les nausées qui n’en finissent plus, les premiers petits gratouillis dans le ventre, les incroyables images échographiques, les grosses manoeuvres intra-utérines qui ressemblent à des entraînements de foot…
Tout cela, je l’avais oublié, et je l’ai redécouvert, 7 ans après, avec des yeux nouveaux.
J’ai oublié aussi la violence des contractions, la brutalité de l’expulsion, j’ai oublié à quel point le jour de la naissance de mes jumeaux, mon corps s’était fait rouleau-compresser de l’intérieur. En fait, je crois que si les femmes se souvenaient vraiment des douleurs de l’enfantement, on serait tous enfants uniques^^.
Il y a 7 ans, à la maternité, je m’étais sincèrement dit que plus jamais de ma vie je ne serais capable de remettre ça.
Et pourtant, très bientôt, je vais accoucher à nouveau.
7 ans après, je vais redevenir maman. Mes sens vont s’éveiller à toutes ces autres choses que j’ai oubliées : les nuits agitées, les cernes jusqu’aux pieds, les petits gloussements lors des tétées, la peau toute douce dans les pli du cou, les cuisses toutes potelées que l’on pourrait croquer, et se dire que tant pis si nos fringues sentent le lait caillé.
7 ans après, je vais redevenir maman. Et même si j’ai tout oublié, je ne devrais pas tomber d’aussi haut que la première fois. Cette fois, je le sais d’avance : je vais pleurer de fatigue, je vais douter d’être faite pour la maternité, je vais avoir envie de tout bazarder… Pourtant, je le sais d’avance : ce sera normal. Ce sera un morceau de mon chemin, imparfait et fabuleux.
Alors à toi, la maman que je suis devenue il y a 7 ans, j’aimerais dire ceci :
Tu es “assez”.
Sur ta carte du monde, les latitudes ne se mesurent qu’à la performance, et les longitudes qu’au regard des autres porté sur toi. Alors forcément, quand tu te plantes, c’est la panique : tu as peur de ne pas être “assez”. Pourtant, tu as en toi exactement tout ce qu’il te faut pour être toi : authentique, acceptée et aimée.
Et à toi, la maman que je vais redevenir bientôt, j’aimerais dire bravo et merci.
Bravo d’avoir su toucher humblement le fond, bravo d’avoir su remonter lentement à la surface, bravo de savoir encore boire la tasse, mais sans que cela soit la fin du monde à chaque fois.
Merci d’avoir galéré, et même d’être allée jusqu’à l’épuisement. Merci d’avoir testé mes limites, merci de les avoir repoussées, merci de m’avoir appris que je n’étais pas aussi forte que je le croyais, et merci de m’avoir appris à me laisser aimer malgré tout.
Tu fais bien de t’allonger sur cette chaise longue, un soir d’été. Tu te rends compte comme, il y a 7 ans, tu aurais eu du mal à te reposer sans arrière-pensée ?