Vivre sans toi - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Vivre sans toi

Vivre sans toi
Rebecca Dernelle-Fischer 14 octobre 2024
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« C’est la vie », disent-ils.

« Aimer, c’est risqué, tout peut arriver ».

Et moi, je dois vivre sans toi.

Coincée entre deux étages de ma vie, entre ce passé auquel je m’accroche, mais qui n’est plus là et ce futur que j’avais rêvé, pensé, pris pour acquis, choyé et qui ne viendra pas, qui ne viendra plus. Il me semble impossible d’avancer et je sais que je ne pourrais plus jamais reculer

Parce que tu n’es plus là. 

Je suis coincée dans un présent qui fait mal, qui m’essore les tripes, un passé que j’ai perdu et un futur qui ne ressemblera jamais à celui dont j’ai rêvé, avec toi ! 

« Il faut s’adapter », disent-ils, « accepter », 

« Faire son deuil c’est important, il faut lâcher prise ». 

Mais moi je n’ai pas envie de te lâcher. Je voudrais te garder encore pour moi, espérer que tu reviennes et que je retrouve enfin la personne que j’étais. 

Tu es parti et c’est un peu moi qui ai quitté la place, entraînée avec toi à l’insu de mon plein gré. 

Je reste là, les mains vides, le cœur troublé, le regard brouillé par les larmes. La colère pétrit constamment mon âme. 

Tu me manques. 

« Pense aux autres, » me disent-ils « il y a pire ».

« Ça arrive. Le meilleur est à venir ». 

Et ils relativisent, taillant dans mon âme endolorie à coups de couteau pointu.

En plus de minimiser la réalité de ma perte, ils nient l’intensité de mon deuil. 

Mais pour moi, tu étais important. Tu laisses un vide, ils ne le voient pas, ils ne le comprennent pas, ils argumentent avec leur tête, mais c’est mon cœur, c’est mon corps qui me fait mal

Le lien qui nous unissait s’effrite. Ta mort m’a déchirée et je dois vivre sans toi, sans notre avenir commun, sans mes rêves de bonheur. Je te sens disparaître, j’ai tellement peur de t’oublier

« Le temps guérit toutes les blessures » s’exclament-ils, « change-toi les idées ».

« Reprends-toi en main ». 

Mensonges, mensonges, mensonges ! 

Le temps ne guérit rien.

Il arrive seulement que le deuil se fasse plus discret.

Devient alors possible une accalmie, dans une tempête à vie. Car la perte, elle, sera toujours là. 

Je m’y suis un peu perdue et tant bien que mal, je sais qu’il faudra me réinventer, retrouver les contours de mon cœur, laisser les émotions venir, s’installer et puis passer. 

Et j’essayerai pour toi, promis, petit pas par petit pas ! 

« Mais ça fait quand même longtemps, déjà », me reprochent-ils. 

« Il faut penser à autre chose, ne plus en parler si fréquemment ! »

Ils en savent si peu…

C’est moi qui dois vivre sans toi et c’est moi qui chavire si souvent. 

Une odeur, une date, un souvenir et je repense à toi, je repense à nous, je repense à qui j’étais

Et la plaie est béante, le deuil reste mon compagnon de route. 

Je n’arrive pas à aller plus vite, je ne veux pas aller plus vite et je ne veux pas t’oublier

Je veux vivre sans t’oublier ! 

Alors je cherche mon chemin, chaque jour, chaque matin. 

Je n’en ai pas toujours la force, mais ai-je vraiment le choix ? 

Je me réinvente, je trouve des solutions aux problèmes que ton départ a laissés, je permets à mon cœur de parler.

Si tu pouvais me voir !

Je réapprends à marcher dans la vie et tu sais, marcher, c’est apprendre à tomber et se rattraper à temps. 

Parfois, les émotions font rage avec tant de puissance que j’ai besoin de leur parler. 

Je leur dis : 

« Bienvenue, merci d’être là. Comment puis-je vous aider ? » 

La tristesse me dit « j’ai besoin de pleurer, de crier, de dire que tout me fait mal », 

Alors, je la laisse s’exprimer, je me serre tout contre moi, je me console, je m’endors le visage trempé de larmes. 

La peur me dit « et si d’autres personnes mouraient, et si je devais revivre ce cauchemar ? » 

Elle négocie, voudrait protéger tout le monde. Elle cherche s’il existe des manteaux tellement bien rembourrés que les coups reçus ne font pas mal, des vitamines si efficaces qu’elles protègent de toute maladie. 

Alors, je me prends la main et je dis à la peur « tant de choses ne sont pas sous notre contrôle. C’est être humain que d’avoir peur, c’est courageux que d’oser vivre, c’est se rendre tellement vulnérable que de tant aimer. » Certains jours, j’ai l’impression que la peur gagne et qu’elle me ligote, réduisant ma liberté à peau de chagrin. D’autres jours, je ne la laisse pas prendre trop de place, je confronte mes peurs, je les mets échec et mat… pour quelques heures, je gagne des batailles

La colère gronde, comme une vague, un tsunami qui s’approche et qui menace de tout détruire sur son passage. Elle me met mal à l’aise, je m’en sens coupable. Car, en plus de t’avoir perdu, je suis aussi fâchée contre toi, contre ceux qui ont survécu et j’aimerais savoir « Pourquoi toi ? Pourquoi moi ? Et pourquoi m’as-tu donc abandonnée ? » 

Alors, au lieu de fuir cette vague, je l’observe et je l’interroge. Je lui dis « parle moi, tu as le droit d’être là, je sais que tu es mon alliée, dis-moi ce que tu as sur le cœur, je peux le supporter ». Et alors j’entends son grondement, j’acquiesce et quand son grondement s’apaise, je lui dis « merci, merci d’être là et de vouloir me défendre ». 

La joie s’est faite si timide, mais parfois, elle vient me chatouiller. Elle se faufile sur la pointe des pieds dans mon quotidien et sans que je le veuille, sans que j’en prenne conscience, elle me fait sourire, parfois tout simplement rire. Je m’effraie de ce mouvement de vie qui tressaille en moi. En ai-je le droit ? Est-elle possible ? La joie dans ma-vie-sans-toi ? 

Alors je mets ma main sur mon cœur et je murmure « doucement toi, j’ai besoin de temps pour retrouver le sourire, ce n’est pas si facile ». Et je sais qu’il me répondra « je sais, mais c’est parfois bien plus facile que tu ne le crois. Prends ton temps, ne te presse pas, ne nous oublie pas, je ne t’oublie pas ». 

Et puis enfin, un beau matin, la surprise se penche au-dessus de nos lits, elle passe dans nos vies comme un courant d’air inévitable, fait claquer les portes et les fenêtres, nous bouscule. Elle nous rappelle qu’on est en vie et que la vie est pleine de surprises ; qu’elle nous amène à donner et à recevoir, à nous perdre, à nous redéfinir, à aimer au-delà de la mort, à aimer jour après jour.

Qu’encore vivre, même sans toi, c’est vibrer aux creux des vagues de nos émotions. 

Alors je dis à la surprise « bienvenue, je vais faire de mon mieux. Mon ambivalence est palpable, mais je suis prête pour de nouvelles aventures ». Et prenant mon courage à deux mains, je m’aventure sur les chemins que me prête encore la vie. 

Tu sais, vivre sans toi, c’est un petit peu mourir, mais c’est vivre malgré tout !  

Je ne t’oublierai jamais et je vivrai pour ceux qui sont restés et puis, simplement, pour moi ! 

Chère Fabuleuse, 

Pendant mes études de psychologie à l’université catholique de Louvain, j’ai eu le privilège de suivre un cours avec madame Emmanuelle Zech, psychologue, psychothérapeute et professeure. Un de ses enseignements concernait le deuil. Les concepts qu’elle nous a enseignés m’ont profondément marquée et m’ont beaucoup aidée dans ma vie personnelle, dans mes rencontres professionnelles et dans ma compréhension des personnes endeuillées. Ce texte, je l’ai nourri de tout ce que j’ai appris. Il est aussi fortement basé sur une conférence qu’Emmanuelle Zech a donnée en 2013 à l’université de Lille et dont l’intégralité est à regarder ou à écouter en ligne. Nous vivons tous des deuils. Certaines d’entre nous ont déjà perdu l’un ou leur deux parents, un ami, un époux, un enfant ou encore un bébé qui n’était pas encore né. La vie est tissée de pertes. Elles peuvent être très difficiles à vivre et nous donner beaucoup de fil à retordre. Il arrive que le choc soit tellement grand qu’on a presque l’impression de perdre la tête. On n’est même pas sûre de pouvoir y survivre. Et l’on peut se sentir parfois très seule au milieu de cette tempête. Mon texte est là pour te rappeler que tu as besoin de temps, mais que le temps ne fait pas tout, que tu peux aller à ton rythme et que les émotions sont fortes et nombreuses et peuvent être contradictoires. Mais, s’il te plaît, si tu vis une situation de deuil qui te donne le sentiment de t’embourber chaque jour un peu plus dans un trou noir, que la catastrophe te semble bien trop grande, il est peut-être temps de chercher de l’aide. Non pas pour tout résoudre, passer l’éponge et oublier, non ! De l’aide pour apaiser la douleur, trouver un soutien qui console, qui te fait du bien, qui t’écoute, qui t’entoure.
Ne reste pas seule et surtout, sois bienveillante avec toi-même.



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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