Tu te souviens, en 2020 ? - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Tu te souviens, en 2020 ?

Rebecca Dernelle-Fischer 19 avril 2020
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« Rebecca, cela fait partie de toi, de ce que tu es, de ton passé. »

Ma thérapeute me regarde gentiment. Je voulais effacer ce chapitre de mon histoire, nier l’affaire, faire comme si rien de tout cela n’avait pas eu lieu.

Du bout des doigts, je caresse son vieux bureau en bois, inconsciemment j’en découvre les lignes, les trous, le relief défile sous la paume de ma main. Ma thérapeute me regarde faire, elle sait que j’aime son vieux bureau en bois, elle sait pourquoi elle l’a, ce vieux meuble patiné par le temps.

« Il est comme toi, Rebecca, il a son histoire, c’est pour cela qu’il est unique, c’est pour cela qu’il est si chaleureux, si doux au toucher ».

Oui mais moi, je n’en voulais pas, de ces cicatrices-là, j’avais tout voulu laisser dans une boîte, au plus profond de mon âme, j’avais mis une grosse étiquette qui disait « rien de grave » et j’avais tout bien fermé.

« Rebecca, me rappelle ma thérapeute, une plaie nettoyée peut enfin cicatriser et après, elle devient un tissu résistant, fort, une marque qui nous rappelle toute la force de vivre qui nous traverse. »

Cette conversation, on l’a eue plus d’une fois. Ce long travail, entrepris depuis plusieurs années, m’a appris que les histoires que je raconterai demain, je les écris aujourd’hui.

En ce moment, nos quotidiens, nos futurs proches et nos plans de vies sont fortement déterminés par la pandémie mondiale que nous traversons : la tempête !

On a beau en connaître plus ou moins le début, la fin échappe à notre regard :

  • certains ne s’en sortent pas vivants, d’autres semblent surfer aisément sur les plus grosses vagues,
  • certains ont peur jour et nuit, d’autres trouvent en eux une certaine sérénité
  • certains travaillent d’arrache-pied, soignant les malades, prenant soin des personnes âgées, handicapées, à la caisse du supermarché et les autres restent chez eux et laissent le pont libre aux matelots en pleine action.

Nos récits de vie en seront tous marqués.

Chacun d’entre nous pourra lancer : « L’année 2020, tu t’en souviens ? ».

Tout comme les Belges ont la mémoire traumatique du décès du roi Baudouin, les Américains des images du 11 septembre, les Français de l’attentat au Bataclan, nous aurons tous une mémoire marquée par le confinement et ses conséquences.

Et l’histoire que j’en raconterai, je l’écris aujourd’hui.

La pandémie nous en impose le script, c’est vrai : nous sommes dans l’œil de la tempête, et cette tempête est autant interne qu’externe. Il y a la perte d’un quotidien normal, la perte de nos repères. C’est comme si on montait un toboggan à l’envers, tout en étant badigeonné de savon noir… Comme un sentiment de ne pas avancer, de ne pas voir la fin, de ne pas avoir de prise sur ce qu’il se passe. 

J’aimerais tant changer de script mais certains éléments ne sont vraiment pas dans ma main, ni dans la tienne.

Et toi, ma Fabuleuse, tu me diras :

« Mais Rebecca, comment veux-tu que je donne le ton à cette histoire ? C’est un vrai tsunami, je ne fais que réagir au mieux, il n’y a rien à écrire différemment ! »

Et pourtant, ma chère Fabuleuse, tu peux encore décider du ton que tu donnes, des intonations que tu choisis. Tu le fais déjà si bien. Tu l’écris aujourd’hui, l’histoire que tu raconteras demain.

“Tu te souviens, en 2020 ?”

  • Certaines parleront de leurs heures au travail aux urgences, de leur épuisement et des pizzas arrivées par surprise, juste à point pour retrouver des forces.
  • D’autres se souviendront de leurs résidents âgés qui combattent et gagnent contre ce foutu virus.
  • Certains moments seront gravés à jamais dans le cœur des éducateurs spécialisés dont l’équipe est devenue une deuxième famille parce qu’ils ont dû passer au travers de la tempête ensemble.
  • Il y aura celles qui ont cousu des masques, demandé à leur entourage qui en a besoin, choisi les tissus avec amour.
  • Il y aura celles qui ont jonglé entre le travail à la maison et 3 arsouilles débordant de mauvaises idées mais qui chaque matin trouvaient la force de se lever.
  • Il y aura celles qui ont organisé des concours de construction de tentes sous la table de la salle à manger, qui ont obligé leurs ados à se lever avant midi et s’habiller (la douche, on essaie mais c’est vraiment trop demander ^^).
  • Il y aura celles qui ont ressorti leur guitare pour chanter des vieux tubes scouts, celles qui ont compté tous les centimes 3 fois et qui ont sué sans fin pour nourrir leur famille.
  • Il y aura celles dont le grand-père tant aimé est parti seul, sans qu’on ait pu lui dire au revoir mais pour qui une bougie a brûlé des heures durant, devant une photo jaunie.
  • Celles qui en tant que population à risque ont craint l’infection mais évité le pire.

La liste est longue, et nous avons toutes et tous notre lot de « paquets supplémentaires » sur le dos.

J’ai les miens, et j’avance tant bien que mal dans ce quotidien atypique. Mais parfois, je m’arrête et je me demande :

« Qu’est-ce que j’ai envie de pouvoir raconter plus tard ? »

Alors, étant donné que je fais partie des angoissées de service, parfois très schtroumpf grincheux, je ne vais pas me mentir, jamais je ne dirai :

« J’avais confiance et j’étais toujours de bonne humeur et c’était vraiment génial parce qu’on avait un jardin et qu’en Allemagne ce n’était pas si grave ».

En faisant ça, je remettrais un mauvais sparadrap sur une plaie qui suinte parce que c’est faux ! Mais oui, je m’inquiète souvent, et oui je suis régulièrement de mauvaise humeur et je “confi-craque” presque tous les jours (un “confi-craquage”, c’est le lapin en chocolat que tu manges en 15 minutes, le truc dont tu n’as pas besoin mais que tu achètes quand tu es enfin dans un magasin, les envies soudaines de meurtre qui te traversent et cette impulsion d’aller sur la colline la plus proche pour gueuler un bon coup).

J’ai tellement envie de pouvoir raconter autre chose que tout cela. Mais comment ? D’abord, je me rappelle que je n’ai pas besoin de « réussir mon confinement » et que j’ai bien le droit de trouver ça merdique.

Ceci étant posé, je me fixe des petits buts bien à moi, je fais des trucs qui donnent un peu de lumière au confinement, je saisis la balle au bond et quand mon mari me demande si je peux illustrer cette histoire pour ses élèves, j’oublie que le sol de la cuisine a bien besoin d’être lavé et je sors mes crayons pour lui croquer 5 images.

J’essaie de créer des souvenirs spéciaux.

Le confinement ? “Ah oui, c’était quand j’ai envoyé 3 paquets par semaines à des amis, que j’ai fait 2 caisses de jouets de 10 kg et que j’en ai envoyé une en France et une en Allemagne.”

Le confinement ? “Oui, ma belle-sœur faisait des cartes avec ses filles pour les résidents de la maison de retraite près de chez eux et mon petit neveu Paul faisait ses premiers pas.” 

Le confinement ? “Quand Elvine et Fleur-Lise nous faisaient des petits dessins comiques tous les jours et quand Hélène avait fait 2 semaines de matinales pour nous aider à tenir le coup.”

Alors oui, ici on sort le Uno et on apprend à Pia à jouer avec nous et on rit de ses réactions pendant le jeu. On regarde des films des années 90 avec nos grandes filles et on se moque des effets spéciaux. Mon mari pasteur et ses collègues cherchent des idées innovantes pour célébrer Pâques avec leur paroisse. Une amie a posté une photo des ses 4 filles dormant ensemble sur des matelas installés par terre, d’autres amies laissent leurs enfant se déguiser tous les jours…

Tout cela, ce sont les histoires que nous raconterons demain.

Non, tu ne maîtrises pas tout mais oui, oui, tu peux donner le ton, tu peux mettre des paillettes dans ton histoire, des petits trucs qui te font du bien et adoucissent le quotidien.

Sème, au jour le jour, les fleurs sauvages que tu admireras demain. Et même si tu as l’impression d’avoir les deux pieds dans le fumier, sèmes-y tout tout plein de mini-graines…

Et tu verras quelles beautés pourront en naître.



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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