À travers les rideaux, je peux voir les rayons d’un doux soleil de printemps pénétrer dans la chambre. Je glisse lentement hors du lit.
Alors que je sors de la chambre, une délicieuse odeur vient éveiller mes narines : celle, irremplaçable, de la brioche fraiche qui chauffe dans le grille-pain. Ni une, ni deux, je dévale les marches de l’escalier pour me retrouver dans la cuisine.
Sur la table, un bouquet fait à la va vite avec les fleurs du jardin.
Et aux fourneaux, mes trois hommes.
L’un tient la queue de la poêle, l’autre y verse la pâte et le dernier surveille le bon déroulement des opérations. Tandis que je tire une chaise pour m’asseoir et contempler leur œuvre, ils se tournent vers moi en lançant avec le sourire :
« Bonne fête maman ! »
C’est alors que je me réveille. À travers les rideaux, je peux voir les rayons d’un doux soleil de printemps pénétrer dans la chambre. Je glisse lentement hors du lit.
Alors que je quitte la chambre, une odeur âcre vient éveiller mes narines : celle de l’urine qui macère dans les toilettes et macule la cuvette. Cette odeur, c’est celle d’une famille comprenant trois personnes de sexe masculin. Trois garçons, soit autant de possibilités de décorer la cuvette des toilettes, pour la plus grande joie de la seule femme de la maison.
Lentement, je descends les escaliers. J’entends mes trois hommes jouer dans le salon. Au programme : bataille de coussins et construction de cabane. Comme presque tous les dimanches matin. La cuisine, elle, est étrangement calme.
La table est vide, le lave-vaisselle plein.
Alors que je commence à le vider, je repense à mon rêve. À mon doux rêve de fête des mères idéale. À ce matin que je ne vivrai probablement jamais, peuplé de pancakes au sirop d’érable, de bouquet de fleurs préparé en catimini et de « Bonne fête maman ! » tonitruant lancé à l’unisson.
Pourquoi ne le vivrais-je probablement jamais, ce matin de fête des mères tiré d’une série américaine ? Voici – au hasard – quelques raisons :
- Mes enfants sont bien trop jeunes pour préparer des pancakes
- Chez moi, il n’y a jamais de sirop d’érable dans les placards
- Dans ma pelouse, les seules fleurs qui poussent entre les mauvaises herbes sont quelques rares pissenlits, que je chien s’empresse d’honorer à coup de patte levée
- Le seul qui pourrait éventuellement penser à faire un petit quelque chose pour l’occasion n’est pas franchement motivé par cette fête qu’il qualifie de « commerciale » et « matérialiste »
Je me souviens de notre première conversation sur le sujet, alors que mon aîné avait seulement quelques mois. À l’époque, je ne pouvais même pas me consoler à coup de collier de nouilles ou d’empreinte de pied en poterie. Alors que je l’interrogeais – presque – naïvement sur les raisons qui pouvaient bien expliquer l’absence de pancakes et de sirop d’érable en ce dimanche matin de mai, voilà ce qu’il m’avait lancé :
« T’es pas ma mère ! »
Mais oui, bien sûr, je ne suis pas sa mère, donc ça n’est pas à lui de penser à une petite attention pour cette occasion particulière : CQFD.
Inutile de préciser que cette petite phrase, ressortie à l’envie et placée au bon moment, fut le déclencheur de disputes conjugales des plus mémorables. Tu sais, ce genre de petite phrase que tu sors et qui, tu le sais pertinemment, c’est pour ça que tu l’as gardée sous le coude, va déclencher à coup sûr une belle engueulade de fin de week-end ?
Mais revenons à nos moutons…
…et à la fête des mères, en remontant encore plus loin dans le temps. Dans mon enfance, tous les dimanches matin de fête des mères, mon père allait chercher des croissants. Nous préparions alors un petit-déjeuner de fête sur la grande table familiale. Dans ma belle-famille, les habitudes étaient différentes.
Il m’a fallu des années pour comprendre le poids de ces habitudes reçues depuis le berceau sur notre propre façon de nous projeter dans notre quotidien en tant que couple et en tant que famille.
Ce fameux « T’es pas ma mère ! » que j’ai reçu longtemps comme une attaque, comme un coup de poignard (mais aussi, avouons-le, comme une petite mise en garde en cas de réflexe de maternage trop aiguisé), n’est que la manifestation d’un héritage, d’une manière de faire et d’envisager les choses.
D’accord, mais un héritage, ça se travaille, ça se remet en question, ça se déconstruit, non ?
Oui, certainement, mais ça fonctionne dans les deux sens. Mais surtout, face au poids de l’héritage, bien souvent inconscient, rien ne sert de ruminer, de serrer les dents et de penser que « s’il m’aimait vraiment, il devrait savoir ».
Non, l’autre ne sait pas.
Non, il ne sait pas que votre petit bonheur de ce dimanche matin réside dans 3 œufs mélangés à un peu de farine, du sucre, de la levure, une poêle chaude et du sirop d’érable. Non, il ne sait pas que votre joie, ce matin, serait de se sentir un peu, un tout petit peu, juste un tout petit peu, fêtée.
Non, il ne sait pas.
Là, maintenant, tout de suite, mon Fabuleux construit une cabane dans le salon et n’a absolument la moindre idée du petit film qui se joue dans ma tête en ce moment même. Ce petit film de pancakes chauds, de cuisine aux tons pastel et au sol propre (non jonché de duplo, ndlr).
Nous sommes bien le matin de la fête des mères et je vais devoir décongeler du pain. Mais j’ai eu le temps de me faire couler un café chaud et de penser, en souriant, à ces satanés héritages familiaux qui, certes, nous ont fait grandir, mais qui peuvent foncièrement nous pourrir la vie.
Et puis si j’avais tellement envie d’un petit déjeuner de fête, je n’avais qu’à, tout simplement, le lui dire. Formuler mon attente, mon désir. Je vous laisse, le pain est décongelé.
Mince, y’a plus de beurre.