«Pas trop dure, la rentrée ? »
C’est LA phrase du moment. Je lui ai décerné ce titre après l’avoir entendue à peu près partout. A la boulangerie, à la sortie de l’école, à la poste (oui, oui), au bureau et dans à peu près toutes mes conversations téléphoniques depuis le 3 septembre. À cette question qui figure sur toutes les bouches, les réponses varient assez peu :
- « C’est tendu »
- « Je cours sans arrêt »
- « Je suis sur les genoux »
- « Jamais on ne tiendra sur la longueur »
- « Les enfants sont déjà crevés »
- « Vivement les vacances », etc.
Quant à moi, avec mon naturel plutôt consciencieux,
j’ai forcément réfléchi à ma propre réponse. Et comme j’ai tendance à être plutôt quelqu’un d’entier, qui dit ce qu’il ressent vraiment, voici ma réponse « niveau 1 » : « C’est la course. Franchement, j’ai l’impression que les vacances ne sont plus qu’un lointain souvenir. » Et maintenant, le dialogue intérieur associé :
« Je n’y arriverai jamais ! »
Je n’arriverai jamais à faire en sorte d’arriver chaque matin à l’heure à l’école, avec un goûter dans chaque cartable, avec des enfants propres (ou au moins débarbouillés), en ayant signé le carnet de correspondance et celui de liaison, et tout cela sans crier, bien entendu ! Conséquence de cette réponse « niveau 1 » ? L’insatisfaction. L’insatisfaction qui émet son signal empoisonné, polluant peu à peu l’ensemble de mon quotidien. Après le sprint du matin, voilà qu’elle s’attaque à la (fameuse) journée du mercredi :
« Comment vais-je faire pour survivre au mercredi ? »
Survivre au marathon des conduites, à l’accumulation des demandes d’attention et d’affection de mes charmants enfants ? Survivre aux courses à faire, aux petits plats à préparer à l’avance et aux machines à étendre ?
Après l’insatisfaction, place à la frustration.
« Je serais tellement plus tranquille toute seule ! » Au moment pile où ma vieille amie la frustration fait son entrée, je me trouve blottie dans mon canapé, fatiguée par ma journée, devant une série sans prétention. La scène qui se déroule sous mes yeux se transforme alors en étalon de comparaison : « Ils peuvent vivre leur vie, eux, sans se sentir tiraillés et frustrés en permanence ! »
Mais comment est-ce possible qu’une question toute simple déclenche chez moi tant de sentiments négatifs, me conduise à un tel stade d’autodénigrement et de frustration ? D’où ma réponse « niveau 2 » :
« C’est la course, mais c’est une rentrée pleine de nouveautés, et j’aime la nouveauté ! »
Une réponse qui s’adresse avant tout à moi et à mon petit dialogue intérieur, histoire de lui faire fermer sa gueule et de me foutre la paix. Parce que, oui, ça n’est pas facile pour moi de prendre le rythme, de comprendre aussi que mes enfants ont besoin de temps pour prendre leur rythme, mais très honnêtement :
Cette rentrée est-elle si terrible que ça ?
Mes enfants ont la chance d’aller à l’école. Mon cadet ne pleure – presque – plus en entrant dans sa classe. Mon aîné, malgré sa différence, va à l’école où il dispose d’une personne dédiée à son apprentissage et à son intégration dans la classe. Alors oui, bien sûr, cela veut dire une personne supplémentaire qui peut « donner son avis », mais franchement, ça n’est ni la première, ni la dernière. Et si c’est autant la course le matin, c’est aussi parce que mon quotidien a changé : j’ai la chance de commencer un nouveau travail. Un travail certes très prenant, rempli de challenges, qui aura plus d’impact sur mon quotidien de mère, mais franchement, quelle dose de motivation ! Et puis, soyons honnêtes, si j’ai autant l’impression de courir, c’est aussi que j’aime ça, non ?
Certainement.
À bien y réfléchir, c’est surtout que mon côté perfectionniste est bel et bien encore là ! Je dois admettre que ce vieux compagnon sera toujours sur ma route mais, par pitié, je ne veux pas laisser sa satanée fille, Mademoiselle insatisfaction, me gâcher un tableau d’ensemble qui me va plutôt bien.
Comment faire ? C’est tout simple. Pas facile, mais tout simple : arrêter de rêver ma vie en version série télévisée et faire en sorte de vivre la mienne – la seule qui me soit donnée de vivre – du mieux que je peux. Vivre ma vie du mieux que je peux, c’est tout simplement faire en sorte d’avoir de la réserve dans laquelle je puisse puiser.
De la réserve pour les jours de disette.
De la réserve pour ces jours où l’humeur de mon aîné pourrira l’ambiance. De la réserve pour ces semaines où un déplacement professionnel m’empêchera de compter sur mon Fabuleux pour le coucher des enfants. De la réserve pour ces jours où absolument rien ne se passera « comme sur des roulettes ».
Pour ma part, cette réserve est constituée de tous ces petits bonus que je m’accorde :
- une séance hebdomadaire de yoga,
- un tête à tête avec mon Fabuleux pendant sa pause déjeuner,
- m’offrir un café en terrasse juste avant d’aller récupérer les enfants,
- me faire les ongles en écoutant un opéra,
- lire chaque soir le passage d’un livre avant d’éteindre la lumière, ou encore
- suivre une formation en ligne pour faire marcher mes neurones et progresser dans mon quotidien…
Faire de la réserve, ça signifie aussi me coucher tôt pour que la sonnerie du réveil se fasse moins agressive quand il s’agit de sortir du lit prestement (pour cette option, apprendre à renoncer au dernier rangement du soir, celui qui m’empêche de me mettre au lit !). Faire de la réserve, ça veut dire également me lever avant tout le monde pour avoir un moment « à moi » avant l’enchaînement pipi-habillage-petit-déjeuner-lavage de dents-jeu-mettre les chaussures-ne pas oublier le cartable ; l’enchaînement fatidique qui me donne parfois envie d’aller me remettre sous la couette. Sauf que je ne vis pas dans une série télé.