Minuit trente. J’ai enfilé à la hâte le manteau de mon mari par-dessus mon pyjama. Une fois de plus, je me retrouve dehors après avoir claqué la porte suffisamment fort pour qu’il m’entende, mais pas trop quand même, pour ne pas réveiller les enfants qu’on a tellement galéré à endormir.
Une fois de plus, le froid me donne la petite claque dont j’ai besoin pour revenir sur Terre. J’inspire, j’expire en regardant les étoiles, et j’essaie de me calmer en lançant un audio de méditation sur mon téléphone.
Comme tous les couples, on a encore eu une conversation musclée.
Et comme à mon habitude, je n’ai pas réussi à écouter vraiment les propos de mon mari, tout occupée que j’étais à :
- finir ses phrases,
- interpréter ses propos avant qu’il ait pu les exposer,
- dire des gros mots,
- dramatiser.
Comme d’habitude, ma mâchoire est serrée et une boule d’émotions me fait mal à la gorge.
Comme d’habitude, je ne sais même plus à propos de quoi on n’était pas d’accord au départ ; je me souviens juste du mot qu’il a prononcé et que j’ai pris personnellement avant d’essayer de comprendre ce qu’il ressentait. En un quart de seconde, je suis encore « montée à 100 », comme il dit.
La lune est belle.
Je suis sûre qu’il dort déjà et ça m’énerve.
Je sais qu’à ce stade, je vais avoir besoin de deux bonnes heures pour trouver le sommeil, grâce à mes cartes joker :
- le froid de la nuit
- mon appli de méditation
- un vocal à ma coach
- mon journal, où je déverse sans filtre tout ce qui me passe par la tête pendant ces crises (by the way, je croise les doigts pour que personne ne mette jamais la main sur ces pages, même après ma mort).
Je n’ai pas envie d’utiliser mes jokers.
Je préférerais me jeter à corps perdu dans le gouffre de mes émotions.
Mais je me connais suffisamment bien pour savoir que si je ne réagis pas maintenant, mon émotion va gonfler jusqu’à pourrir ma vie intérieure, ma vie de famille et par ricochet ma vie professionnelle, pendant au moins 48 à 72 heures.
Je sais très bien que ma réaction est totalement disproportionnée,
par rapport à la nature du désaccord initial. À l’instant T, je suis folle de rage mais je sais très bien que demain matin, comme d’habitude, je serai bien obligée d’avouer que je me suis « un peu emballée ». Je sais très bien que j’aurai honte d’avoir créé un problème là où il n’y en avait pas. Honte d’avoir la maturité émotionnelle d’une enfant de cinq ans et la maîtrise de soi d’un chimpanzé.
Je sais très bien que je suis une drama queen.
J’ai essayé d’être différente.
J’ai voulu changer.
J’ai lu des livres.
J’ai fait plusieurs thérapies.
Et voilà ce que j’ai appris pendant toutes ces années de travail sur moi :
- Je fais partie des gens dont le moteur intérieur est à 100% émotionnel. Je suis comme ça, c’est un package à prendre ou à laisser.
- Dans ces moments de tempête qui reviennent de manière cyclique, il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre que ça passe, en utilisant mes petits jokers pour patienter jusqu’à ce que le vent tombe.
- Je me suis tellement battue contre moi-même que ma vie est devenue un combat intérieur constant, qui m’a épuisée. Aujourd’hui, je sais que plus je me braque contre la drama queen en moi, plus je renforce ces comportements que je n’aime pas chez moi.
- Étonnamment, c’est plutôt quand j’ai accueilli le fait que « oui, je suis comme ça », que j’ai commencé à progresser, en trouvant des outils concrets pour attendre que mes crises passent.
- J’ai découvert que cette intensité émotionnelle est aussi ma plus grande force : j’ai des capteurs pour déceler ce qui se trame au niveau invisible et je sais mettre des mots dessus, ce qui fait que d’autres se sentent moins seuls.
Est-ce qu’il faut se battre pour se débarrasser de nos défauts ?
Ou plutôt baisser les armes et s’accepter telle que l’on est ?
Dire « je suis comme ça et pas autrement », n’est-ce pas la bonne excuse qui nous empêche de changer ?
Si je m’aime telle que je suis, est-ce que je vais devenir arrogante ?
En résumé : faut-il s’accepter telle qu’on est ou « devenir une meilleure version de soi-même » ?
Pour reprendre une expression que David utilise tout le temps : les deux, mon capitaine !
Être soi, c’est à la fois l’accueil de ses faiblesses ET la volonté d’apprendre et de grandir.
Être soi, c’est s’aimer, y compris les parties les plus honteuses de nous. Et c’est cet amour inconditionnel de nous-mêmes qui va précisément nous donner la force de nous remettre sainement en question, et nous propulser sur un chemin de progression.