« Nous voulons relier les coeurs blessés » - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

« Nous voulons relier les coeurs blessés »

Anna Latron 6 octobre 2020
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Marie-Axelle a perdu son fils Gaspard, décédé d’une maladie neurodégénérative à l’âge de trois ans. Camille, son fils Auguste décédé à 5 mois de la mort subite du nourrisson. Le fils de Clémentine, Siméon, est décédé d’un cancer à l’âge de trois ans.

Dans À la vie à l’amour, un ouvrage paru récemment, elles témoignent à trois voix de la valeur de la vie de leurs enfants, de l’épreuve de leur décès et du deuil qui n’est pas juste une étape. Un témoignage bouleversant et plein d’espoir de trois fabuleuses mamans qui saura toucher les coeurs de nombreux « par’ange ».

Marie-Axelle, vous parlez des répercussions de cette épreuve sur votre corps. C’est une dimension du deuil assez peu abordée. Pouvez-vous nous parler de l’effet physique du deuil ?

Marie-Axelle : Avant le décès de Gaspard, j’avais discuté avec des parents touchés par la mort de leur enfant et beaucoup d’entre eux m’avaient alors partagé les effets du deuil sur leur corps. À l’époque je ne me sentais pas tellement concernée mais quand j’ai été confrontée au deuil, j’ai compris que celui-ci touche aussi le corps. J’ai pris conscience de la façon dont la tête et le corps sont intimement reliés. Ainsi, j’ai vu apparaître des cheveux blancs, plus de rides, j’ai pris du poids. Au départ je pensais plutôt que j’allais en perdre car dans les jours qui ont suivi le décès de Gaspard, j’avais perdu deux kilos. Résultat : en trois ans, j’ai pris dix kilos… Depuis, j’ai appris à me permettre de prendre soin de moi, à me faire plus de bien : j’ai repris la danse et le sport.

Clémentine : Pendant 2 ans, j’ai perdu complètement possession de mon corps. C’est comme si je n’avais plus de corps…et effectivement, j’ai pris du poids. Avec d’autres mamans endeuillées, on s’est fait la réflexion qu’on a toutes pris le nombre de kilos que pesait notre enfant. L’année de la mort de Siméon, j’ai pris 7 kilos, soit son poids exact. Et puis à un moment donné, j’ai eu envie de me reprendre en main, de me sentir mieux dans ma peau et du coup j’ai fait des efforts pour les perdre. La mort de Siméon m’a permis de prendre plus confiance en moi et, par ricochet, de devenir plus coquette. Quand on a plus confiance en soi, on a plus envie de prendre soin de soi ! En revanche, j’ai clairement pris un coup de vieux à force de pleurer.

Camille, vous écrivez : “On dit parfois que l’on reconnaît ses vrais amis au moment des épreuves. Oui et non.” Que voulez-vous dire ?

Camille : On entend souvent que l’épreuve nous fait faire un “tri”. Avec mon mari, le tri s’est fait de façon inconsciente, c’est certain : on a été rapidement vers nos amis proches avec qui on se sentait  à l’aise, on voulait être pris “sans pincettes”. Une de mes amies n’était pas à l’aise, ne savait pas quoi me dire, et j’avoue que j’avais du mal à la voir, je n’avais pas la force de devoir lui expliquer comment il fallait se comporter avec moi. Avec certains amis proches, cela a donc pris plus de temps.

Clémentine : Cette épreuve m’a offert l’occasion de nouer de très belles amitiés, surtout vers la fin de la vie de Siméon. Nous nous sommes rapprochés de personnes qui nous nous ont donné beaucoup d’espoir à un moment où nous en avions particulièrement besoin.

Marie-Axelle, vous écrivez qu’une maman en deuil se retrouve scrutée sous tous les angles : si elle sourit, elle se sent jugée, si elle ne pleure pas, aussi. Comment réagissez-vous à cela ?

Marie-Axelle : J’ai pris conscience de cet effet qu’une maman endeuillée peut produire autour d’elle. Le réaliser simplement m’a beaucoup aidée ! Du coup, je me suis dit que je ne pouvais pas psychoter à chaque fois et interpréter la moindre réaction. J’ai donc arrêté de me prendre la tête et pour me concentrer sur de nouvelles relations. Cela m’a aussi poussée à ne plus me focaliser sur des personnes trop nocives pour moi, trop intrusives.

En revanche, plus le temps passe, plus je constate que, d’une certaines façon, je me protège de nouvelles relations ou que j’évite de creuser dans celles qui existent déjà, car je garde à l’esprit que cette personne peut nous quitter à tout moment. Une crainte que je regrette mais qui ne me quitte pas.

Clémentine, vous évoquez les trois fausses couches que vous avez subies après le décès de Siméon. Vous écrivez : “Je dois me résigner à en rester là, et à vivre jusqu’à ma mort avec ce sentiment d’inachevé”. Comment avez-vous fait face à ces deuils successifs, celui du décès de votre enfant puis celui d’une nouvelle maternité ?

Clémentine : Ce fut l’horreur, je n’ai pas peur de le dire. Je me dis encore aujourd’hui que si j’avais pu avoir un enfant après la mort de Siméon, la vie aurait été plus douce. J’aurais pu prendre une forme de revanche sur la vie. J’ai fini par accepter de devoir trouver une autre forme de fécondité : aujourd’hui j’essaie de rendre la vie de Siméon féconde, de parler de lui. Mais ne pas avoir de famille nombreuse reste une blessure profonde dans mon coeur car être maman, c’est vraiment mon “truc”, ma vocation.

Comment l’idée de ce livre a-t-elle germé ?

Marie-Axelle : J’avais dans mon coeur le projet d’écrire un livre sur le deuil avec d’autres personnes car je ne voulais pas proposer mon prisme. Je voulais m’entourer d’autres parents confrontés à cette épreuve, d’autres « par’ange ». Je connaissais Camille de mes années lycée et je savais ce qu’elle avait traversé avec le décès d’Auguste. J’ai ensuite découvert Clémentine grâce au réseaux sociaux ; je lui ai proposé d’écrire ce livre afin de lui offrir la possibilité d’écrire la vie de Siméon.

Clémentine : En effet, je commençais à oublier certains détails de la vie de Siméon et écrire ce livre m’a permis de raconter tout cela, tous ces détails que je commençais à oublier.

Camille : J’avais toujours rêvé d’écrire l’histoire d’Auguste mais j’avais laissé tomber… Quand Gaspard étaient encore vivant, Marie-Axelle et moi en avions parlé, mais sans évoquer l’idée d’un livre ensemble. Je suis vraiment reconnaissante d’avoir pu réaliser ce projet qui était resté dans mon coeur sans avoir été concrétisé pendant de longues années.

Comment avez-vous écrit ce livre de témoignage à trois ?

Clémentine : On s’est donné trois mois pour écrire chacune de notre côté nos histoires “en vrac”. Au moment de la mise en commun par l’éditeur, on s’est rendu compte que nous avions écrit sur les mêmes thèmes mais sans dire la même chose !

Camille : Nous avions nos trois textes bruts mais sans l’idée claire de la façon de construire le texte final. Finalement, la mise en commun fut extrêmement facile car nous évoquions les mêmes thèmes mais de façon différente. Tout s’est imbriqué très rapidement, sans qu’il y ait besoin de réécrire ni d’enlever quoi que ce soit.

Cette aventure créatrice, quel est son but ? Soutenir d’autres parents, briser le silence autour du deuil d’un enfant, ou est-ce aussi une étape de votre deuil ?

Camille : Je voulais laisser une trace d’Auguste et notamment permettre à mes quatre autres enfants — qui sont tous nés après son décès — de connaître sa vie. Je n’ai pas d’abord pensé aux parents endeuillés mais je suis contente de pouvoir témoigner du fait que moi, Camille, je peux aujourd’hui être heureuse malgré tout et que l’on peut se relever après cette épreuve.

Clémentine : Moi aussi je voulais laisser une trace des trois ans de la vie de Siméon sur terre, rappeler les événements de sa vie que je commençais à oublier. Aujourd’hui, sa vie est écrite. Pour m’en souvenir, j’ai fait appel à mes copines et à ma soeur aussi, qui a adressé des mails très complets à nos familles durant la maladie de Siméon. Je n’avais aucune prétention d’aider des parents endeuillés mais je me rends compte aujourd’hui, après les retours de lecteurs, que cela aide. C’est une agréable surprise ! Il n’y a pas de mode d’emploi du deuil mais je crois qu’en témoignant, on fait du bien autour de soi.

Marie-Axelle : Dès le départ, nous n’avons pas voulu faire un guide pour parents endeuillés mais mettre par écrit ce qu’on avait traversé sans que ce soit forcément une catharsis. Je crois que je voulais avant tout parvenir à une forme de reconnaissance, arriver à dire merci à mon fils d’être passé dans ma vie. Je voyais ce livre comme un moyen d’aboutir à une forme d’acceptation de son décès en lui disant merci pour sa vie sur terre. Je voulais aussi mettre des clés de compréhension à disposition de l’entourage et de toute personne concernée par le deuil de façon plus large. Enfin, je souhaitais constituer un esprit d’union entre mamans endeuillés, mettre en place une sororité entre femmes éprouvées, mais aussi créer une forme de solidarité et de fraternité avec d’autres parents endeuillés, pour relier les coeurs blessés. J’en ai assez de cette société dans laquelle on ne parle pas de la mort ! On a tous peur de la mort et pourtant personne n’en parle : ce livre est aussi là pour crever l’abcès.

Quelle est votre astuce de Fabuleuse pour survivre à une journée pourrie ?

Marie-Axelle : Je stoppe tout ce que je fais et je passe à autre chose, je reporte à demain et je fais un truc toute seule qui me fait plaisir. Avant je n’avais pas tellement l’habitude de faire des choses toute seule, aujourd’hui je suis plus “solitaire”, je peux par exemple sortir bouquiner seule en terrasse.

Camille : Je me prévois un plan de dernière minute avec des copines. Par exemple le mercredi soir ^^. Ou alors je me fais couler un bain. Ça n’est pas très écolo mais ça me fait du bien !

Clémentine : Je suis aussi très bain ! Ce qui me remonte aussi le moral, c’est de me coller à mes enfants : ça me recharge à fond. Même s’ils sont grands maintenant, ils jouent encore le jeu et je leur en suis reconnaissante.

À la vie à l’amour, Vivre après la mort d’un enfant

Camille Canard, Clémentine Le Guern, Marie-Axelle Clermont, Editions de l’Emmanuel, 206 pages, 17€.



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Cet article a été écrit par :
Anna Latron

Journaliste de formation, Anna Latron collabore à plusieurs magazines, sites et radios avant de devenir rédactrice en chef du site Fabuleuses au foyer et collaboratrice d’Hélène Bonhomme au sein du programme de formation continue Le Village. Mariée à son Fabuleux depuis 14 ans, elle est la maman de deux garçons dont l'aîné est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.

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