Comme tu le sais peut-être, j’ai deux garçons, âgés de 5 et 9 ans. Comme tu le sais peut-être aussi, je viens d’une famille nombreuse : 4 enfants. Ce que tu ne sais pas, c’est que ce nombre d’enfants est, dans mon entourage proche, une sorte de minimum syndical familial.
Et pour cause :
Ma mère vient d’une famille de 6 enfants, ma grand-mère était la troisième d’une fratrie de 10 enfants. Mes cousins ont pratiquement tous trois enfants minimum.
Du coup, quand on me pose gentiment la question « Alors, c’est pour quand, le petit troisième ? », tu peux voir à peu près d’où je pars, c’est-à-dire mon contexte intérieur 🙂
En fait, ça n’est pas toujours forcément en ces termes qu’on me la pose, cette question. Il y a :
« Bon, vous n’allez quand même pas vous arrêter là !? »
Il y a aussi l’argument féminin :
« Vous allez tenter une fille, hein ? »
Et la remarque classique de la réunion familiale qui tombe en plein pendant mes règles quand j’ai le bide gonflé :
« Vous n’auriez pas une bonne nouvelle à nous annoncer ?! »
Alors, quand je propose de donner les vêtements de bébé, les équipements de puériculture et les jeux d’éveil qui trônent encore dans le grenier, je les entends :
« Oh non, c’est trop dommage quand même… Ça pourrait encore vous servir ! »
Pendant des années, cette remarque est devenue la mienne :
C’est trop dommage !
C’est trop dommage de ne pas avoir assez confiance en la vie, en mon couple, en ma famille, pour ne pas tenter l’aventure…non ?
Voilà ce que je me disais :
- si j’étais assez forte, on le ferait.
- si nous étions assez confiants, on le ferait.
- si…
Ces “si” me pourrissaient la vie. À chaque annonce de grossesse ou de naissance, je me jugeais “moins bien”, je nous jugeais “pas à la hauteur”, “pas assez confiants”, “pas assez originaux”, etc.
Et puis, petit à petit, une autre ambiance intérieure a émergé : une ambiance où j’écoute mon envie et où je ne fantasme pas l’opinion des autres sur moi, mon couple et ma famille. (Note : Ces “autres” sont déjà suffisamment occupés par leur propre vie pour avoir vraiment, profondément, un avis tranché sur la mienne, celle de mon couple et de ma famille)
Voilà : je ne ressens pas plus que ça l’envie d’avoir un autre enfant.
Comprends-moi bien, chère Fabuleuse : évidemment qu’un bébé c’est vraiment absolument trop chou ! Évidemment que mon utérus, de temps à autre — surtout quand une nouvelle naissance comble les couples de mon entourage — se rappelle à moi et me sussurre qu’il aurait bien envie de servir encore une fois au moins.
Évidemment que cela me titille !
D’autant plus quand mon fils cadet pose sa main sur mon ventre et me demande, avec son regard digne du chat de Shrek :
« Dis maman, quand est-ce que tu auras un autre bébé dans ton ventre ? »
Mais si je dois être vraiment et absolument honnête, cet élan ne reste pas bien longtemps et ne suffit pas.
Non, cet élan parfois présent dans mon cœur et mon utérus ne suffit pas.
Je ne vais pas dresser ici l’inventaire des raisons qui font que donner une nouvelle fois la vie ne reste qu’une potentialité abstraite dans ma tête, sans prendre assez de place pour nous pousser, mon mari et moi, à devenir parents une troisième fois.
Cette liste-là est assez facile à énumérer et manque cruellement d’originalité : manque de sommeil, fatigue, charge mentale, etc. Pas besoin de chercher très loin : il y aura toujours de bonnes raisons qui feront choisir de ne pas avoir d’autre enfant.
Il y aussi un principe de réalité et de responsabilité, que j’applique ici uniquement à moi-même : la maternité constitue une expérience profondément secouante et malgré toutes les joies qu’elle me donne de vivre, elle me rappelle aussi à une forme d’humilité.
Face à la maternité, je ne suis pas toute-puissante, loin de là.
Face à la parentalité, je dois aussi humblement reconnaître nos limites. À une période, quand j’évoquais un troisième enfant, mon mari me lançait, avec l’ironie et l’humour dont il a le secret (et qui me font régulièrement partir au quart de tour) :
« Bien sûr que tu peux avoir un troisième…mais pas avec moi ! »
Cette réflexion qui me blessait, je sentais qu’elle venait du cœur. Et sur ce point, je sentais aussi que mon mari avait une intuition qu’il était bon d’écouter : celle qu’il ne fallait pas tenter le diable en agrandissant notre famille, dont l’équilibre, je le sais, était et reste fragile.
Je sais que ces lignes feront débat. Que certaines et certains qui les liront pourront m’asséner des contre-arguments ô combien valables et judicieux. Car oui, il y aura toujours des raisons qui pourraient objectivement me prouver que deux enfants, c’est dommage, ou trop peu, ou pas courageux.
(Je sais aussi que ces lignes pourront blesser celles qui aimeraient beaucoup porter un — autre — enfant, et dont la patience et les réserves émotionnelles sont mises à rude épreuve. Puissent ces lignes vous rappeler humblement que la vie reste un grand mystère qui souvent nous dépasse.)
Pour autant, je n’ai besoin ici ni d’arguments ni de jugements. J’ai simplement besoin de goûter aux joies et aux épreuves qui font mon quotidien de maman de deux enfants, sans fantasmer sur les potentiels délices qui m’attendraient si j’en avais un troisième.
Donc voilà, c’est dit : je ne ferai pas de petit troisième.
Sauf si la vie en décide autrement 🙂