« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris […] » (Victor Hugo)… et il serait alors indécent de commenter le sexe dudit enfant, non ?
Ton arrivée dans la famille, cher troisième garçon, c’est une surprise !
Comme pour vous, les aînés, on n’a pas jugé utile de connaître le sexe à l’avance, persuadés qu’on était de complètement s’en ficher, et désireux de préserver une once de mystère dans cette aventure désormais si médicalisée.
Mais autant pour vous, les aînés, cela semblait être le hasard de la nature, la loterie de la génétique, la roue de la vie, bref un non-sujet…
Autant, à partir du 3ème enfant du même sexe, on commence à entrer dans la « loi des séries ».
Avec son lot de commentaires à la clé à peine sortie de la salle d’accouchement en ta nouvelle compagnie, plus ou moins bienvenus :
– de la joie témoignée par la merveilleuse sage-femme qui t’a mis au monde, cher nouveau-né, elle-même rayonnante maman de 4 garçons dont l’un fête son anniversaire ce même jour…
– … au commentaire maladroit de l’auxiliaire de puériculture qui pousse le fauteuil roulant en me disant, d’un air convenu et le sourire en coin, que je n’ai « pas tourné la clé de la serrure dans le bon sens ».
Dans les semaines qui suivent, même si je fais mine de n’aucunement m’émouvoir de ton sexe, chacun y va de son petit message réconfortant destiné, j’imagine, à me « consoler » de ce qui semble être perçu comme un coup dur du destin.
Quelques exemples en pagaille :
– « Comme ça, tu seras toujours la reine à la maison lors de la galette des Rois ! »
– « Beau-papa est tellement fier de voir la pérennité du patronyme familial triplement assurée » (heureusement qu’on ne lui a pas fait le coup de donner aux enfants mon propre nom de famille !)
– « Au moins ce sera plus simple côté logistique, tu as déjà tous les habits et jouets en stock »
– « Tu verras, les garçons c’est beaucoup moins stressant à l’adolescence » [NDLR : ça, j’attends de voir !]
Applaudir à grands cris ou gémir sans bruit ?
Au milieu de ce flot de commentaires, j’en pense quoi, moi, la génitrice de votre trio de garçons qui fait tant jaser ?
Alors secrètement, sans même me l’avouer consciemment, une petite partie de moi a du mal à « applaudir à grands cris » ton arrivée. Un sentiment larvé d’injustice.
Une tristesse enfouie de ne pouvoir conjuguer la maternité au féminin.
Mais ce n’est pas politiquement correct de l’extérioriser. Comment ne pas me réjouir de la naissance de mon chérubin en bonne santé (hormis quelques éprouvants séjours à l’hôpital, quand même, pour corser l’expérience !), quand tant de fabuleuses mamans autour de moi sont confrontées à la prématurité, au handicap, à la maladie ? Comment ne pas exulter, consciente de ma chance d’être 3 fois maman, quand tant d’autres femmes n’aspirent à le devenir, ne serait-ce qu’une fois ?
Ce regret que tu ne sois pas né fille est impossible à formuler : je ne me l’avoue pas.
Comment admettre que j’aurais préféré que tu sois autre ? Toi que j’ai porté dans ma chair pendant près de 9 mois ? Je m’interdis d’y songer par peur de déduire, par un affreux raccourci, que je ne t’aime pas assez, ou pas bien, ou pas du tout…
Donc hop hop hop, je chasse vite fait bien fait ces mauvaises pensées du revers de la main. De toute façon, avec notre brochette de petits mecs à gérer en plein confinement, je n’ai pas le temps d’y penser : circulez commentateurs bavards, y’à rien à voir !
Genre, on s’en fout du genre ?
Sans entrer dans la polémique sur la thématique ô combien clivante du « gender », j’ai essayé à défaut d’avoir une fille de ne pas trop vous « masculiniser », tant côté éducatif que vestimentaire : pas de garde-robe ni de décorations exclusivement bleus, de pistolets et autres effets guerriers à Noël, ou de sweat-shirt du style « Futur tombeur », « Beau gosse forever » ou « Je suis le plus fort des superhéros »… J’ai lu des manuels d’éducation « féministe » des garçons et tenté de ne pas vous enfermer dans des réflexes de genre, du type « un garçon, c’est fort et ça ne pleure pas ».
Bref, j’ai mis toutes les chances de mon côté pour éviter de faire de vous des stéréotypes.
Pourtant, les faits sont têtus, et vous ressemblez souvent, à mon corps défendant, aux clichés que je m’étais efforcée de chasser de la maisonnée. Avec un effet démultiplicateur lié au mimétisme fraternel, voire à la surenchère lorsque vous êtes particulièrement en forme (c’est-à-dire souvent) :
– Vous faites du bruit.
Quand vous jouez dans vos chambres (ou dans n’importe quelle autre pièce de la maison, devenue un terrain de jeu géant), ça crie, ça s’apostrophe bruyamment, ça rigole à gorge déployée. J’ai eu beau vous offrir chacun une poupée et ses accessoires de survie dans l’espoir de jeux calmes, je crois qu’il ne vous est jamais venu à l’idée spontanément de les changer, nourrir ou bercer, et qu’elles ont passé plusieurs mois nues comme des vers et dénutries sans que personne ne s’en émeuve. Par contre, vous vous êtes parfois rappelé de leur existence lorsque vous cherchiez des objets pour sécuriser votre terrain de Kapla ou délimiter votre parcours de voitures. À table, c’est à celui d’entre vous qui criera le plus fort pour attirer l’attention parentale ou avoir le dernier mot. On a épuisé en vain toutes nos méthodes d’incitation au chuchotement : le « roi du silence » dure rarement plus de 5 secondes, vous ne remarquez même pas quand on se met à chuchoter dans l’espoir d’un effet mimétique, et le téléchargement de l’appli antibruit a eu sur vous l’effet contraire, votre objectif étant devenu de faire virer le sonomètre au rouge le plus vite possible en faisant exploser le score de décibels ! Quand vous écoutez de la musique, c’est spontanément à fond les boulons, de même pour vos chers podcasts — que vous aimez écouter en simultané, histoire d’amplifier le brouhaha ambiant. Bref, avec vous, on en a plein les oreilles !
– Vous bougez.
Vous ne marchez pas : vous sautez, gigotez, remuez, courez sans cesse. De préférence avec un ballon scotché au pied et un bâton greffé à la main. Les passages réguliers aux urgences n’ont pas eu sur vous d’effet dissuasif : ni pour toi, mon aîné cascadeur qui t’es cassé le coude suite à un saut d’escalier mal réceptionné (pendant que j’étais à la maternité pour la naissance de ton frère, sinon ce n’est pas drôle !) et t’es esquinté la cornée suite à jet de bâton dans l’œil (un soir de réveillon, sinon ce n’est pas drôle !) ; ni pour toi, mon 2ème petit suiveur qui, sur les conseils de ton grand frère, a sauté du lit superposé en parachute… sans parachute, et effectue des passages répétés chez l’opticien pour cause de lunettes cassées au cours de combats fratricides ; ni pour toi enfin, mon petit dernier, dont la poussette a été méchamment renversée sur le bitume par ton frère cadet (un jour férié, sinon ce n’est pas drôle !). Bref, avec vous on ne s’ennuie jamais et les couloirs des urgences n’ont plus de secrets pour nous !
– Vous mangez. Beaucoup.
Les fins de repas résonnent de vos « encore » ou « qu’est ce qu’il y a après ? »… En quelque sorte, nos amuse-gueules vous mettent en appétit : rarement rassasiés, souvent affamés ! Sans parler de vos conflits sur la taille des parts, la forme de la portion ou la couleur des morceaux… Autant dire qu’on appréhende les appétits adolescents qui sommeillent en vous, et qu’on envisage d’ouvrir un PEM (Plan Épargne Morphales) en prévision du budget alimentaire à venir ! Bref, avec vous, frigos et placards ont intérêt à être bien achalandés.
– Vous êtes fans de sport.
Vous ayant bien tenus à l’écart de la sportmania, je ne l’ai pas vue venir. À la faveur des coupes du monde et de vos rencontres amicales, vous vous y êtes intéressés d’abord un peu. Puis beaucoup. Puis à la folie. J’ai beau vous expliquer que les vêtements de sport c’est pour le sport et pas 7J/7 24 h/24, que sportif c’est pas un métier facile ni forcément enviable, que la maison n’est pas un terrain de foot à saccager quotidiennement avec n’importe quel objet roulant… Je finis par être subrepticement envahie et par ne plus m’étonner que toi, le petit dernier, du haut de tes 3 ans, tu sortes sûr de toi entre la poire et le fromage : « l’arbitre il est nul », ou « les Argentins ils ont triché », ou encore « Allons enfants de la patrie-iiii-euhhhhh… […] Contre nous de la pyramide (sic), l’étendard sanglant est levééééééé », moins sur le mode de l’hommage patriotique que de la préchauffe de match testostéroné… Bref, avec vous, la vie c’est sport !
– Vous êtes « casual ».
Vous n’êtes pas porté sur l’élégance vestimentaire et si vous le pouviez, pour vous « casual Friday » ce serait tous les jours (je bénis le port de l’uniforme en vigueur à Toronto !). Ça ne choque personne à la maison, surtout pas votre Fabuleux papa, de remettre des habits sales et/ou troués restés en boule par terre dans votre chambre (en attendant d’être ramassés tout seuls comme par magie), d’assortir les rayures en bas avec des carreaux en haut, ou d’arborer un pantalon rouge avec un haut violet… Votre seule exigence récurrente : jogging et baskets, c’est tellement plus chouette ! Au passage, mon espoir que votre garde-robe se transmette de frère en frère s’est vite dissipé : rares sont les pantalons ou chaussures rescapés pour les petits frères ! Mais l’avantage, c’est que vu le rythme d’usure de vos pantalons, on vous taille des shorts en quantité pour l’été… Bref, vous êtes plus choc que chic, l’élégance n’a qu’à aller se rhabiller !
J’imagine sans peine que certains de vos congénères garçons ne rentrent pas dans ces clichés, et combien a contrario certaines filles s’y retrouvent. Mais vous, mes garçons à moi, au-delà de vos personnalités sensibles et complexes, de vos appétences culinaires ou artistiques, vous cochez quand même pas mal de cases du cliché… Parfois (voire souvent) ça m’épuise et je me sens un peu (voire beaucoup) seule au beau milieu de votre monde de mecs !
J’aime les filles… C’est grave docteur ?
Alors je respire un grand coup et j’ose l’assumer, maintenant : oui, j’aurais bien aimé avoir une fille (au moins !). Voilà, c’est dit. Ça fait du bien de l’exprimer. Et ça ne fait pas de moi une « mauvaise mère » pour vous, mes garçons, comme je l’ai cru si longtemps.
Voilà les raisons inavouables, probablement stéréotypées et éminemment égoïstes pour lesquelles j’aurais bien aimé plus de mixité dans votre joyeuse fratrie :
– Les fringues.
Franchement, si vous saviez comme c’est frustrant d’aller vous choisir des habits au rayon garçons, incomparablement plus petit et terne que celui des filles, juste en face, qui regorge de motifs et formes adorables. Passées les tenues des 1ers mois, vous m’avez laissé peu d’occasions de jouer à la poupée avec vous ! Du coup, fini le shopping dans les rayons garçons tristounets et testostéronés, je suis passée à la seconde main, plus compatible non seulement avec notre planète mais aussi avec votre importante consommation vestimentaire.
– La maison.
Je me mets peut-être le doigt dans l’œil en supposant qu’une fille va spontanément être plus serviable et soigneuse qu’un garçon, mais force est de constater que vous n’êtes pas très portés sur le rangement ! J’ai beau placarder des règles de vie familiale et des tours de service aux 4 coins de la maison, vous faites preuve d’une cécité et d’un Alzheimer très précoces dès qu’il s’agit de ranger vos habits, de mettre ou débarrasser le couvert ou d’aider à décharger une machine…
– Le futur.
Jamais (sauf révolution bio -éthico-médicale majeure) je ne pourrai vous voir porter pendant de longs mois et enfanter mes petits-enfants, et vous susurrer les mots de réconfort maternel transmis de génération en génération. Peut-être me faudra-t-il lutter dans votre cœur et votre agenda avec une « bru » (qu’il est laid ce mot !) naturellement méfiante vis-à-vis de belle-maman… Et vous n’êtes pas encore autonomes que je pense déjà égoïstement à ma propre perte d’autonomie, et crains que vous soyez moins portés sur l’aide aux aidants de vos vieux darons que les filles traditionnellement plus enclines au « care »…
– La complémentarité fille-garçon.
Moi-même issue d’une famille « équilibrée » en termes de sexe, en bonne sœur modèle, j’ai toujours acquiescé avec ferveur lorsque j’entendais dire que la plus grande chance pour un garçon est d’avoir une soeur. En tout cas pour moi, c’était une chance d’avoir des frères. J’ai expérimenté la richesse de ces fratries mixtes, à coup d’alternance de moments speeds et calmes, de négociations au sommet (« je joue avec toi au garage si en échange tu joues avec moi à la poupée »), de connaissance intime de l’altérité à l’épreuve des bains et jeux en commun, des parties de déguisement et des ami(e)s invités à la maison… J’aurais aimé que vous connaissiez cette joie et cette chance d’affronter votre vie d’adulte avec d’éternels alter ego féminins !
« Maman, on pourrait avoir une petite soeur ? »
Si vous saviez comme elle me fait mal, cette question qui jaillit parfois spontanément. Car moi aussi je le vis immensément ce sentiment d’inachevé… L’impression intime qu’il manque une pièce au puzzle familial.
J’ai souvent fait le yoyo dans ce projet récurrent d’agrandir votre fratrie, oscillant entre des phases d’épuisement et de désir maternel. En faisant le tri entre mes pensées et sentiments en dents de scie, j’en suis venue à cette conclusion : autant je serais comblée d’accueillir une première petite fille, autant je ne suis pas certaine que j’aurais l’énergie suffisante pour accueillir un 4e garçon s’il est sur votre modèle.
Alors, plutôt que de me morfondre sur la petite sœur que vous n’aurez pas, je choisis de savourer le bonheur d’être la fabuleuse maman des fils que vous êtes : complices, solidaires, enjoués, dynamiques. Mes 3 mousquetaires toujours prêts à défendre vos idées et ceux que vous aimez. Mes 3 petits cochons parfois franchement cracra et ronchons, mais solidaires dans l’adversité. Mes 3 brigands coquins, bâtisseurs de châteaux de cartes, de Playmo et de Lego.
Je me sens d’autant plus Fabuleuse de conjuguer la maternité triplement au masculin : si fière d’être votre Mum of Boys !
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Alice.