“Qu’est-ce qu’on dit ?”
On se décarcasse à les emmener dans une aire de jeux couverte, aux risques et périls de nos pauvres tympans, on se coltine les toboggans trop serrés pour nos fesses trop larges, et ils sont encore fichus de piquer une crise monumentale parce qu’ils n’ont pas le droit à une deuxième gaufre au Nutella.
On se démène pour leur dénicher le plus beau cadeau d’anniversaire, on casse la tirelire pour leur payer le jouet à propos duquel ils nous bassinent depuis des mois, et douze secondes après le déballage dudit cadeau, ils demandent avec leur gueule d’ange : “c’est tout” ?
On se plie en quatre, pire, on se plie en origami pour qu’ils aient la belle vie, et tout ce qu’ils trouvent à faire, c’est une scène de fin du monde parce que les nouveaux feutres sont déjà secs – et je cherche toujours à comprendre pourquoi il manque déjà 5 capuchons sur les 12 que j’ai achetés avant-hier.
On leur sert à manger matin midi et soir, et dès que ce n’est pas des pâtes, ils jouent les martyrs malnutris.
Bref, on a enfanté des ingrats.
Et on déteste ça.
On vit pour eux, et ils ne le voient même pas. Alors on se surprend à les imaginer, dans 25 ou 30 ans, face à leurs propres enfants qui ne leur diront pas merci. Et ça nous fait rire jaune, parce que ce sera bien fait pour eux. Tout comme peut-être, d’ailleurs, notre propres parents rient jaune à ce moment précis – “bien fait pour toi petit ingrat”.
On ne peut pas vraiment leur reprocher leur impolitesse, à nos enfants : ils disent merci, ça oui.
“Mèèèrciii…”, lâchent-ils pour qu’on les laisse en paix. Ils ont bien compris qu’ils n’ont rien à gagner à être malpolis, alors ils se laissent soudoyer autant de mercis qu’il faudra.
Sauf que nous, ce n’est pas de leurs mercis qu’on veut :
c’est de leur gratitude.
La gratitude n’a pas besoin de merci. La gratitude est une émotion, une réaction spontanée de reconnaissance. Que visiblement, les enfants n’ont pas, si l’on en croit le nombre de parents qui se plaignent de l’ingratitude de leur progéniture.
Mon enfant est ingrat : je fais quoi ?
1 – Je laisse tomber la politesse
La gratitude est liée à la surprise et à la joie : forcer la gratitude, ça ne fonctionne pas !
“Vous vous êtes peut-être déjà retrouvé dans la situation où un collègue vous dit : “Regarde ce que j’ai fait pour toi ; tu peux me dire merci maintenant parce que ça m’a pris du temps !” Le simple fait de formuler une demande de reconnaissance réduit le sentiment de gratitude.” (Rebecca Shankland, Les pouvoirs de la gratitude)
Rebecca Shankland décrit ainsi les “effets potentiellement contre-productifs de la politesse ou des bonnes manières” : ils constituent une sorte de prescription sociale à laquelle nous sommes habitués depuis le berceau, mais qui empêche les jeunes être humains d’apprendre à ressentir profondément la gratitude, qui est une émotion liée à la surprise et à la joie. La gratitude, ce n’est pas forcé ; c’est spontané. Bon alors, comment induire cette spontanéité-là ?
2 – Je montre l’exemple
Les enfants ne font pas la distinction entre la joie (« je suis content”) et la gratitude (“woaw, quelqu’un a fait ça pour moi”). Chez les enfants, la notion d’empathie n’est pas encore développée : ils oublient l’intention à l’origine du geste. À aucun moment ils ne s’imaginent ce qu’a pu coûter à leur maman le fait de pouvoir porter tels habits propres ou de déballer tel cadeau de Noël. C’est pour cela que lorsqu’ils reçoivent un cadeau qui ne leur plaît pas, ils éprouvent peu de gratitude parce que la joie n’est pas au rendez-vous.
À l’inverse, en tant qu’adulte, notre capacité d’empathie est plus développée : nous sommes capables d’éprouver de la gratitude pour un élément qui en soi ne nous procure pas de joie. C’est précisément pour cela qu’on s’extasie quand notre enfant nous offre un pissenlit : on apprécie l’intentionnalité de son geste.
Parmi les idées de Rebecca Shankland dans Les pouvoirs de la gratitude :
“Lorsque l’occasion se présente, il ne faut pas hésiter à exprimer soi-même ses réactions en suivant tout le processus interne qui se passe en un clin d’oeil chez l’adulte, mais qui demande encore beaucoup de ressources chez l’enfant. Par exemple, au moment où on vous sert une belle assiette garnie et colorée, vous pouvez exprimer tout haut : “Quelle belle assiette ! Merci d’avoir pris le temps de préparer ce bon repas pour nous ; ça a dû prendre du temps de tout arranger dans les assiettes et de trouver tant de couleurs différentes qui nous donnent envie de manger !” Vous aidez ainsi l’enfant à identifier l’intention bienveillante, le coût et la valeur du geste.”
3 – Le cadeau, c’est la gratitude
“La gratitude est un second plaisir, qui en prolonge un premier : comme un écho à la joie éprouvée, comme un bonheur en plus pour un plus de bonheur.” André Comte-Sponville
Éprouver de la gratitude pour un cadeau, c’est un deuxième cadeau,
un cadeau plus beau, plus gros que le premier. L’être humain, c’est comme ça, a tendance à se lasser des objets, des situations, des gens… S’exercer à la gratitude est un merveilleux moyen de réaliser que la vraie valeur de la vie n’est pas dans ce que l’on possède, mais dans notre capacité à s’émerveiller de ce que l’on possède (cf. le niveau de bonheur d’habitants de certains pays qui vivent beaucoup plus heureux que nous, avec beaucoup moins de possessions que nous !)
La gratitude est magique, parce qu’elle amplifie les aspects positifs sur lesquels on choisit de porter notre attention. Elle amplifie notre joie de recevoir tel cadeau, de voir notre homme passer la serpillère, d’avoir des enfants en bonne santé, de l’eau courante et même un peu de temps pour lire un peu (puisque c’est ce que tu es en train de faire 😉 )
Chère fabuleuse,
- les aléas des dernières années t’ont-ils menée à voir ta vie comme un fardeau, non comme un cadeau ?
- as-tu souvent cette sensation de manque, de “pas assez” ?
- as-tu la désagréable sensation de ne pas être reconnue pour tous tes efforts envers les autres ?
On se plaint d’avoir des enfants ingrats, mais au fond, à force de n’être jamais contents est-ce qu’on ne leur montre pas l’exemple d’une vie sans cesse insatisfaite ? Et je plaide coupable ! Mais je me soigne.
J’aimerais te lancer un défi simple, celui d’attraper un crayon et un carnet dès que tu auras terminé la lecture de cet article, et faire un petite liste, toute simple, de raisons pour lesquelles tu pourrais éprouver de la gratitude dès maintenant. Non pas, comme les enfants en cette saison, la liste des cadeaux que tu voudrais. Mais celle des cadeaux que tu as déjà. C’est une toute petite habitude de rien du tout, qui à force pourrait bien changer toute ta façon d’être… et même donner envie à tes enfants d’éprouver eux aussi cette émotion-là, qui non seulement nous fait éprouver de la joie, mais en plus nous rapproche de ceux qu’on aime.