Chère Fabuleuse,
Micheline est comme toi : elle a une belle-mère. Et si tu n’en as pas, cœur sur toi et sur ton Fabuleux, parce que malgré tout le mal qu’on aime dire des belles-mères, c’est triste un Fabuleux sans sa Maman…
Donc Micheline a une belle-mère et elle sait que c’est une chance et elle est pleine de reconnaissance pour cette femme qui a mis au monde l’être merveilleusement fabuleux qu’est Jean-Claude, le soleil de ses nuits, l’astre de sa vie. C’est une chic belle-mère cette Mamouchina… MAIS, d’abord, d’où sort ce petit nom ridicule qu’elle s’est choisi ? Elle ne pouvait pas trouver plus long ? Et ensuite, est-ce que Mamouchina est OBLIGÉE de réunir toute sa famille pendant 15 jours, tous les étés ? TOUS LES ÉTÉS !
Entendons-nous bien, Micheline n’a rien contre sa belle-famille ni contre sa belle-mère ni contre le fait de passer 15 jours au même endroit chaque été. Nan, c’est le combo total qui est difficile à vivre. Les vacances chez Mamouchina, c’est un peu Squid Game, vous savez cette série Netflix ultra violente où des gens sont obligés de jouer à des jeux d’enfants innocents qui s’avèrent mortels. Exemple : 1,2,3 Soleil, c’est rigolo, sauf que si tu bouges, tu es abattu d’une balle. Chez Mamouchina c’est pareil. Mais avec moins de sang, quand même.
Jour 1 : les chaises musicales
Tout le monde arrive de bonne humeur après une route plus ou moins longue, les enfants sont excités, ils retrouvent les cousins, ça court partout, les belles-sœurs s’embrassent, la reine mère trône dans le salon où l’on défile pour l’embrasser et c’est parti… pour l’attribution des chambres. Le premier arrivé est le mieux servi.
Pour Micheline, le jeu consiste à arriver avant sa belle-sœur Gertrude pour ne pas avoir la chambre maudite, celle dont la fenêtre refuse de s’ouvrir et la porte de fermer, située juste sous le grenier. L’année dernière, elle a perdu, Gertrude lui ayant fait croire qu’ils arriveraient vers 18h alors qu’ils étaient partis plus tôt, les fouines, pour arriver sur place avant 16h et s’installer avant l’arrivée de la tribu de Micheline. Cette année Jean-Claude a décidé qu’ils rouleraient de nuit. Ils arriveront pour le petit déjeuner et gagneront donc le droit de s’installer dans la meilleure chambre. Haha !
Jour 3 : le cache-cache
C’est le jeu préféré de Poupouchkinou, le père de Jean-Claude, qui s’affirme ravi de recevoir toute sa famille l’été mais tente constamment d’échapper aux grandes tablées. À chaque repas c’est le même cirque, il est dans le salon en train de lire tranquillement et quand il voit le monde s’agiter et des enfants passer avec piles d’assiettes, pouf ! Il disparaît.
On le retrouve dans des endroits improbables : sous sa voiture, en train de tondre dans le jardin, dans le grenier pour réparer une lampe… Une année on l’a retrouvé sous un lit : il cherchait une pièce de son jeu d’échecs.
Jour 7 : le concours cuisine
Mamouchina est fin cordon bleu et elle se met en quatre pour satisfaire les papilles de ses trois fils, de ses belles-filles et de ses huit petits-enfants. Pour alléger un peu sa tâche, elle délègue un repas par jour à un autre adulte. Au début, chacun suivait scrupuleusement le menu et puis d’année en année, les choses ont dégénéré.
C’est maintenant à qui fera la meilleure recette, la plus originale, la plus compliquée, et donc, à qui récoltera le plus de compliments. Micheline s’en sort sans trop de difficultés, mais pour le pauvre Jean-René, c’est une torture. Malgré toute sa bonne volonté, il est capable de faire cuire des cordons bleus à la friteuse, de servir des betteraves crues, et quand il tente un barbecue, il finit aux urgences.
Le pire reste Gertrude, qui tente systématiquement de convertir la famille au tofu, saupoudre tous ses plats de chanvre, de lin et autres graines réjouissantes, ou qui oublie une fois sur deux que Poupouchkinou est allergique aux noix et manque de le tuer en cuisinant à l’huile de noisette. « C’est dommage, a-t-elle fait remarquer à son beau-père en plein œdème de Quincke, c’est tellement bon pour la santé, l’huile de noisette. »
Jour 9 : 1,2,3 Sommeil !
Quelle que soit la répartition des chambres, un problème subsiste. C’est que chaque famille est différente et que chaque couple a une vision bien à elle de l’éducation. Jean-Gérard et Rosélia, par exemple, pensent que passés six mois, un enfant doit réguler son sommeil seul. Ce n’est pas le principe éducatif que Micheline juge. C’est le bruit qui en découle… Parce que les deux enfants de Rosélia sont adorables, mais ils font des cauchemars, et comme ils savent que ce n’est pas la peine d’aller voir leurs parents, ils réveillent leurs oncles et tantes ou leurs cousins.
Gertrude et Jean-René, eux, s’aiment fort, et ils ont une sexualité très épanouie. Et c’est bien, c’est beau, on est vraiment très heureux pour eux. Mais c’est bruyant, aussi. Si bien qu’un matin au petit déjeuner, Dagobert a affirmé avoir entendu un renard dans la nuit. Et quand on lui a demandé quel bruit faisait le renard, il a émis un couinement-piaillement très reconnaissable pour les adultes. Alors, coincée entre les enfants et le renard lubrique, Micheline ne dort pas, ou peu, ou mal. Et on sait tous ce qui arrive quand on manque de sommeil : on se transforme en dragon.
Jour 12 : La piñata
À ce stade-là, après 12 jours de cohabitation, l’ambiance change légèrement et la flamme de la fraternité vacille. Les enfants sont en hyperglycémie permanente parce que les gâteaux de Mamouchina sont pantagruéliques et délicieux. Micheline est au bord de la crise de nerfs, elle a déjà ses valises de retour sous les yeux, sans compter qu’elle a été malade toute la nuit à cause de l’agneau au bouillon d’abricot de son beau-frère.
Rosélia, qui dort avec des boules Quiès, est en meilleur état mais c’est Gertrude qui a la meilleure mine, puisqu’elle s’endort détendue tous les soirs. (Tous. Les. Soirs.) Micheline va s’acheter des boules Quiès. Mamouchina fatigue aussi, ses recettes sont de plus en plus simples : chips, pommes de terre à l’eau, pâtes au beurre. Poupouchkinou se cache de mieux en mieux : hier soir on ne l’a pas trouvé du tout. Pourvu qu’il revienne, quand même.
Seuls Jean-Claude, Jean-Gérard et Jean-René sont au top : ils se retrouvent entre frères, ils ont à nouveau 10 ans et leur mère leur rappelle de se laver les mains avant de passer à table. C’est beau à voir, ils sont heureux, ils gloussent et font des batailles d’eau. Le dragon en Micheline ne peut ignorer cette insouciance bien longtemps, elle prend son bâton de disputes et se jette sur sa piñata préférée : son mari. Tous les prétextes sont bons : une chaussette qui traîne, une réflexion désagréable, un sourire niais et Micheline démarre. Elle tempête, rouspète, dénonce, elle critique et parfois elle pleure aussi un peu. Les disputes chez belle-maman sont les plus belles à voir, c’est presque de l’art. Quand enfin elle a épuisé ses nerfs, elle laisse Jean-Claude sonné, à terre, le cerveau en lambeaux, elle s’en va dignement bouquiner sur un transat. Moralement, elle est repartie pour 15 jours.
Jour 14 : la balle au prisonnier
Tout le monde connaît ce jeu, c’est facile. Imaginons maintenant que le ballon, c’est la scarlatine du petit Louis-Clotaire. Voilà. C’est un jeu dangereux et Micheline espère vraiment que sa famille va gagner, cette fois.
Jour 15 : Tetris
Meilleur jeu du monde, meilleure musique qui reste le plus longtemps dans la tête. Et meilleur casse-tête, quand il s’agit d’arriver à caser dans la voiture trois enfants survoltés, 45 valises (elles ont aussi fait des bébés pendant le séjour, apparemment), plus tous les petits cadeaux que Mamouchina tient à laisser à ses petits-enfants, plus les livres que Poupouchkinou veut absolument que son fils lise pour avoir son avis, plus un sac de linge sale parce que le lave-linge a jeté l’éponge. Pourtant ça rentrait à l’aller, murmure Jean-Claude, perplexe, en se grattant la calvitie.
Fin du jeu, Micheline est en vie, et même, elle a la tête pleine de jolis souvenirs, du rire des enfants, de soleil, de verdure… et de fatigue.