Lorsque notre premier enfant est né, nous vivions dans un grand appartement très mal agencé où il n’y avait que deux portes : une pour la salle de bain et une pour la chambre. Pas idéal pour télétravailler, comme tu t’en doutes.
Quelques annonces et visites plus tard, les deux jeunes parents d’un enfant de six mois que nous étions s’installèrent dans un nouvel appartement, enthousiasmés par les murs blancs lumineux, les chambres séparées et le salon qui allait accueillir un tas de rires et de jeux.
Dès la première semaine de notre installation, douche froide.
Le voisin sonne à 7 h 7.
— Salut, c’est quoi ton prénom ?
Puis il enchaîne :
— OK. J’entends ton bébé pleurer toute la nuit, ça va pas être possible.
Face à lui dans mon pyjama difforme, mon bébé allergique tout cerné dans les bras et des tâches de vomito sur l’épaule, je suis bouche bée, sous le choc :
« Moi ? Déplaire à quelqu’un ? ».
Il n’en fallait pas plus pour réveiller mon syndrome de la bonne élève. J’allais prendre ce problème à bras le corps.
Alors on a réorganisé les espaces (vocabulaire de décoratrice d’intérieur pour dire qu’on a mis notre bébé dans la pièce la plus éloignée de la chambre des voisins) et les choses se sont tassées.
Un an plus tard, nouvelle douche froide :
— Le matin, quand ton fils marche dans le couloir, c’est pire que la cavalerie, même avec des Boules Quies. Vous pourriez mettre un tapis ?
Retour en fanfare du syndrome de la bonne élève (qui n’a jamais vraiment disparu) et de la culpabilité. Il faut reconnaître tout de même que mes voisins sont sympas : ils ont proposé de partager les frais du tapis. J’ai refusé, invoquant un budget dommages-collatéraux-liés-au-fait-d’avoir-des-enfants, mais surtout soucieuse de garder mon indépendance totale à leur égard (pas mécontente qu’ils me soient un peu redevables… chut !).
Bref, une virée au magasin brico-déco plus tard, nous nous sommes équipés.
Une année supplémentaire s’est écoulée. J’ai régulièrement mis la pression expliqué à notre merveille qu’il ne pouvait courir qu’à l’extérieur en parlant (très) fort dans l’espoir de prouver à l’étage du dessous toute ma bonne implication. J’ai tellement insisté que mon fils est du genre à dire en pleine journée : « on doit marcher doucement, car les voisins dorment ».
Et puis, nos jolis murs blancs ont accueilli un nouveau bébé. Les voisins nous ont félicités chaleureusement et ne se sont pas (encore ?) manifestés.
Voilà donc trois ans que le samedi et le dimanche, je culpabilise d’empêcher mes voisins trentenaires-sans-enfants de profiter de leur grasse matinée. Le pire c’est lorsque je crie d’exaspération, car je n’en peux plus ou, le pire du pire, lorsque mon fils proteste vigoureusement parce que j’agis contre sa volonté, mais pour son bien (coucou le lavement de nez !).
J’ai la sensation qu’une oreille extérieure se balade constamment dans mon intimité, jugeant la — mauvaise — mère que je suis.
Et puis l’autre jour dans ma douche, alors que je les entendais se raconter leur journée (la mauvaise insonorisation fonctionne dans les deux sens), je me suis demandé :
Est-ce qu’ils entendent les rires de chatouilles lorsque je change la couche de mon bébé ?
Est-ce qu’ils entendent mes explications patientes face à cet enfant qui refuse de s’endormir ?
Est-ce qu’ils savent que chaque soir je mets quelques gouttes de colorant dans l’eau du bain pour motiver ma progéniture (qui choisit la couleur !) à se laver ?
Est-ce qu’ils ont entendu les milliers d’histoires lues depuis que nous avons emménagé ici ?
Est-ce qu’ils rient à mes blagues — pas toujours fameuses — dont mon petit garçon raffole ?
Est-ce qu’ils entendent mes pas pressés dans l’escalier lorsque je descends à la pharmacie ?
Est-ce qu’ils entendent les coups de fil inquiets chez le médecin ?
Est-ce qu’ils entendent les doux baisers qui consolent d’une chute ?
Est-ce qu’ils entendent les cent pas au cœur de la nuit pour rendormir mon nourrisson ?
Est-ce qu’ils entendent les discussions avec mon mari sur nos choix éducatifs ?
Voilà, au bout de trois ans, j’ai pris conscience que si mes voisins entendaient les bruits « gênants » de notre foyer, ils entendaient aussi les bruits d’amour.
Peut-être même que ces bruits leur donnent envie de se lancer dans cette aventure épuisante et fabuleuse, ou bien qu’ils leur rappellent des souvenirs de leur propre enfance ?
Ce texte nous a été transmis par Sophie, une fabuleuse maman.
![](https://fabuleusesaufoyer.com/wp-content/uploads/2025/02/WhatsApp-Image-2025-02-10-at-10.44.47-1024x585.jpeg)