D’aussi loin que je me souviens, j’ai toujours voulu devenir mère. À l’adolescence, quand on joue à se faire peur avec des « Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de pire dans la vie ? », je répondais : « Ne jamais avoir d’enfant ».
D’où vient cette envie que l’on a ou pas, est-ce le fruit de notre éducation, est-ce dans nos gènes, dans notre caractère, est-ce un instinct ? Je ne le sais pas.
Pour moi, c’était certain, je serais mère.
Je n’y avais jamais réfléchi, c’était comme une évidence : je rencontrerai quelqu’un, on se marierait, ou pas, et on aurait des enfants. Au moins trois, des filles comme des garçons.
Et puis je suis devenue adulte, j’ai rencontré quelqu’un, on s’est marié et on a fait des enfants. Beaucoup d’enfants. Mais je ne les ai jamais portés que quelques semaines chacun et ils ne sont jamais nés. Certains m’ont même conduites aux urgences avec engagement de mon pronostic vital.
Les médecins continuaient à garantir une grossesse en augmentant encore et encore les doses d’hormones de synthèse. Mon corps et mon moral, en overdose de ces drogues, se dégradaient lentement.
Autour de nous, nos amis nous annonçaient fièrement des grossesses, nous présentaient leurs enfants. Nous restions discrets car notre douleur était difficile à expliquer et nous ne voulions pas de leur pitié. Nous avons eu notre lot de :
- « Vous ne devriez pas privilégier votre carrière ainsi, c’est magique d’avoir des enfants »,
- « Tu ne devrais pas attendre, ça ne marchera peut-être pas du premier coup »,
- « Prends mon fils dans les bras, ça te donnera peut-être envie ! »,
- « Vous voulez le mode d’emploi ? »
- …
Toutes ces remarques maladroites comme autant de coups de poignard.
Alors il a finalement fallu y réfléchir.
- Pourquoi voulais-je être mère ?
- Qu’est-ce que cela voulait dire pour moi ?
- Quel prix étais-je prête à payer pour porter un enfant ?
- Jusqu’à quel point étais-je prête à mettre ma santé physique et mentale en péril avant de réagir ?
Il m’a fallu beaucoup de courage pour aller chercher de l’aide hors du corps médical. Et grâce à une femme formidable, j’ai affronté ces questions. Trouver les réponses m’a pris plusieurs années.
J’avais un besoin viscéral d’être mère…
…de donner un amour inconditionnel à mes enfants et de recevoir le leur, de les accompagner dans leurs apprentissages et leurs découvertes, de faire d’eux des adultes épanouis et responsables. J’avais envie de porter mes enfants dans mon ventre, qu’ils me ressemblent ainsi qu’à leur père, qu’ils aient nos gènes. Différencier ce dont j’avais besoin de ce dont j’avais envie a été le plus difficile.
Bien des années après notre mariage, nous sommes allés chercher nos enfants au bout du monde. Des enfants avec un début de vie compliqué qui avaient besoin d’une famille.
Des enfants qui m’ont faite mère, mes enfants.
Quel mystère, ce lien mère-enfant qui semble lui aussi une évidence mais ne l’est pas. Ce lien, dit-on, qui se crée au plus profond de nous lorsque l’on porte notre enfant. Comment alors expliquer ces mères désemparées face à un petit inconnu au lendemain de l’accouchement, ou l’existence de ce lien même lorsque l’on n’a pas porté l’enfant ? Je ne parle pas de l’instinct mammifère qui nous fait prendre soin d’un petit, mais bien du lien d’amour maternel.
Mon sentiment est que ce lien se crée en partie pendant l’attente de l’enfant, comme on anticipe un rendez-vous galant ou un événement attendu. Une partie de ce lien vient de la conception – et le mot n’est pas anodin – de l’enfant dans notre esprit. L’autre partie se crée dans la rencontre et les jours qui suivent, parfois rapidement, parfois plus lentement. Cela dépend de cette conception « spirituelle » qui a précédé, de sa durée et de sa maturité.
Pour notre premier enfant, nous avons su de nombreux mois à l’avance quand nous le rencontrerions. Nous avons eu le temps de le “concevoir” avant de le rencontrer. Le jour tant attendu, la rencontre a été magique et le lien d’amour s’est forgé au premier regard.
Pour notre second enfant, ce fut différent.
Nous pensions devoir attendre encore plusieurs années quand on nous a annoncé qu’il nous attendait. Nous l’avons rencontré un mois plus tard sans avoir vraiment eu le temps de nous préparer. Cette rencontre a été très différente. Ce bébé était encore un étranger. Nous avons bien sûr pris soin de cet enfant. Dans les premiers jours, ce soin était bienveillant et attentif, mais comme le soin que l’on donne à l’enfant de quelqu’un d’autre qui vous est confié. Notre lien d’amour s’est créé et nourri des petits gestes tendres, des regards et des sourires échangés.
Le lien d’amour maternel avec mes enfants n’est pas génétique, il se nourrit et se renforce à chaque instant passé ensemble. Quand on joue ensemble, quand on fait les devoirs, quand je change leurs draps au milieu de la nuit, quand je leur offre un cadeau ou que je les réprimande, quand ils se glissent dans mon lit au petit matin pour sentir mon odeur…
Mes enfants me ressemblent.
Ils partagent mes valeurs, mon sens de l’humour, ma répartie, mes habitudes, mes mimiques, ma vie. Mes enfants m’ont faite mère. Notre lien est profond, instinctif et viscéral. Notre amour est inconditionnel.