La règle de saint Benoît conseillait d’« avoir chaque jour la mort devant les yeux ». Certains moines médiévaux gardaient même un crâne posé dans leur cellule, non pas pour se complaire dans la tristesse, mais pour se rappeler la vérité essentielle :
Memento mori — souviens-toi que tu vas mourir.
Oui, c’est un peu glauque pour attaquer le week-end. Pourtant, il n’y a rien de plus vivifiant que de se souvenir que notre vie a une fin. Memento mori n’est pas une menace, mais un appel à la vie ! Quand je sais que mes jours sont comptés — que ma mort viendra dans trente ans ou peut-être dans trente minutes — alors je prends conscience de la valeur infinie de mon aujourd’hui.
Cette pensée n’est pas un fardeau, elle est une invitation :
celle de vivre pleinement, de ne pas remettre à demain la gratitude, la tendresse ou la joie.
Dallas Willard écrivait que la mort ne fait que sceller la trajectoire que nous avons choisie de notre vivant. C’est une phrase qui m’habite, parce qu’elle me rappelle que personne ne devient soudain, à 80 ans, une personne douce, joyeuse et reconnaissante. Pas plus qu’on ne devient subitement amer, manipulateur ou empoisonné pour son entourage.
Toi et moi, nous sommes déjà en train de devenir cette femme de 80 ans, à travers nos pensées, nos paroles, nos habitudes quotidiennes.
Memento mori : souviens-toi que chaque décision d’aujourd’hui détermine qui tu deviens.
C. S. Lewis le dit avec des mots encore plus tranchants : « Nous devenons soit des horreurs immortelles, soit des splendeurs éternelles. » Et cette perspective me fait réfléchir : chaque réaction de colère ou de patience, chaque mot qui encourage ou qui blesse, chaque habitude qui nourrit mon cœur ou l’assèche… tout cela, petit à petit, sculpte la personne que je suis en train de devenir.
Je l’ai vu de mes propres yeux.
Ma grand-mère, orpheline de père à 8 ans et de mère à 12 ans, veuve à 47 ans, marquée par la pauvreté, la persécution nazie et le cancer, aurait pu devenir une femme aigrie, recluse dans la plainte. Mais elle a choisi une autre vie. À 87 ans, elle est l’une des personnes les plus joyeuses et reconnaissantes de mon entourage.
Elle qui aurait eu mille raisons de se renfermer, elle a choisi la gratitude et la joie, encore et encore. Elle me rappelle qu’on ne contrôle pas tout ce qui nous arrive, mais que nous gardons toujours une part de liberté dans la manière dont nous répondons.
Memento mori : la vie est courte, mais nous restons libres de la façon dont nous allons la traverser.
Alors laisse-moi te poser une question un peu inconfortable : qu’aimerais-tu qu’on dise de toi le jour de tes funérailles ?
L’écrivain David Brooks distingue les « vertus du CV » et les « vertus de l’éloge funèbre ».
- Les premières concernent nos compétences et nos réussites visibles : diplômes, carrière, talents.
- Les secondes parlent de ce qui restera dans la mémoire des autres quand nous ne serons plus là : notre bonté, notre honnêteté, notre fidélité, notre générosité.
Brooks observe que, bien que nous sachions toutes que les vertus de l’éloge funèbre sont plus précieuses, nous consacrons une grande part de notre énergie à développer celles du CV.
Et pourtant, le jour de nos funérailles, il sera bien clair que ce n’est pas notre carrière qui nous définit, mais la qualité de nos relations, la trace laissée dans le cœur de nos proches, la paix ou l’amertume que nous aurons semée autour de nous.
Alors aujourd’hui, sans rien bouleverser d’extraordinaire, nous pouvons cultiver les vertus qui demeurent. Avec un sourire, un merci, un mot de pardon, une poignée de main, un acte de courage.
Ces petites choses, accumulées jour après jour, façonnent déjà la femme de 80 ans que tu deviendras, et elles tissent la mémoire que les autres garderont de toi.
Memento mori. Souviens-toi que ta vie est courte, et c’est justement pour cela qu’elle est précieuse.
Tu n’as pas besoin d’un crâne sur ta table de nuit. Mais peut-être d’un petit rappel, sur la porte du frigo ou le miroir de la salle de bains : « Souviens-toi que tu es en train de devenir quelqu’un. »


