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Vie de famille

Mais comment on se parle ?

Rebecca Dernelle-Fischer 7 février 2021
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Il y a quelques semaines, j’attendais la fin de la séance de Pia dans la salle d’attente de l’orthophoniste quand une dame est entrée en trombe, accompagnée de deux enfants. Absorbée dans la lecture d’un un article, j’ai un peu sursauté à son « non mais de quoi tu as l’air, encore ? ».

Je lève les yeux.

Tout en remettant le t-shirt dans le pantalon de la gamine, cette grand-mère lance un « Sors tout de suite de là » au garçon qui avait filé discrètement derrière le comptoir des thérapeutes. Durant les cinq minutes qui ont suivi, je n’ai entendu que des reproches et des réprimandes.

J’ai guetté la détente, la blague, la phrase normale mais non, tout ce qui sortait de la bouche de cette dame était négatif. Zut. Ça m’a fait réfléchir. Peut-être qu’elle a cru que le bruit des enfants me dérangeait et qu’elle en est devenue encore plus sévère… Peut-être qu’ils avaient fait mille et une bêtises sur le chemin pour aller à ce rendez-vous. Ce jour-là en tout cas, les remarques sont tombées comme des grêlons.

La semaine suivante, en voyant arriver la dame et ses petits enfants, j’ai voulu prendre les devants — histoire qu’elle ne pense pas que le bruit des enfants me dérange. J’ai salué la troupe, demandé comment s’était passée la journée, s’ils étaient à l’école maternelle… J’ai appris que les enfants étaient cousins. L’ambiance me semblait meilleure que la semaine précédente, mais la grand-mère siffla alors un :

« Comment as-tu fait pour être si sale ? Je t’avais dit ce matin de faire attention ! ».

Ça m’a mis le cœur dans les talons.

Pour essayer de détendre l’atmosphère, j’ai lancé en souriant : « À l’école maternelle c’est normal, ça arrive, quand on s’amuse bien, on se salit souvent ! » La petite fille confirme, la grand-mère en rajoute une couche :

« Mais que va dire ton père ? »

J’observe encore un peu la dynamique, je vois bien que même si les gestes et les paroles de cette dame sont brusques, elle a l’air de beaucoup aimer ses petits-enfants. J’essaye de ne pas juger ou de faire de conclusions hâtives mais cela me bouleverse.

Ce qui s’est passé la semaine suivante m’a presque fait tomber de ma chaise. Cette grand-mère attendait seule la fin du rendez-vous de son petit-fils. Elle s’était assise à côté d’une autre patiente et elles discutaient ensemble. Elles se connaissaient visiblement bien et cette grand-mère « Captain Haddock / tonnerre de Brest » m’a épatée.

La dame avec qui elle parlait a fait un accident vasculaire cérébral il y a quelques mois et récupère tout doucement la parole et la motricité de son côté gauche.

J’entends :

« Comment ça va aujourd’hui ? Ah ben oui, ça prend du temps ! Courage, ça va aller ! Tu as déjà fait tellement de progrès ». Ces mots gentils, encourageants et doux que j’entends me donnent les larmes aux yeux. 

Ma première réaction fut de me dire : « Et paf, dans les dents Rebecca ! Tu as jugé un peu trop vite sur ce coup-là ! ». Ma deuxième fut de me rappeler le paradoxe qui se présente si souvent à nous :

« Comment nous parlons-nous dans nos foyers en comparaison avec la manière dont nous parlons aux autres en dehors de nos quatre murs ? »

Ça vous parle à vous aussi ?

Polie, efficace, patiente au boulot… et hop, quand la porte se ferme derrière nous, il nous reste juste la force d’aboyer sur notre famille parce qu’on n’en peut plus ?

Comme si on oubliait que pour vivre, on a tous besoin de remarques positives, de compliments, d’encouragements. Des paroles vraies qui nous rappellent qu’on est importantes pour les autres, que nos efforts, nos réussites, nos hauts et nos bas ne passent pas inaperçus, que l’on ne passe pas inaperçu. Grands et petits, nous avons besoin d’être entourés de gens qui nous arrosent de temps en temps de gentillesse, qui soufflent un peu d’air dans nos voiles fatiguées.

On oublie qu’on en a besoin, mais surtout, on oublie que nos Fabuleux, nos enfants en ont aussi besoin pour vivre et grandir.

Les paroles positives ne sont pas un luxe mais une denrée de base.

On devient quelque peu avare de nos mots, ou tout simplement, on n’y pense plus. On ne s’écoute plus parler et on ne remarque même pas combien rares sont devenues nos paroles positives. On fait des listes de reproches, de critiques ou de recommandations sans même le réaliser.

Mais oui, moi aussi je tombe et retombe dans ce piège ! Surtout les samedis matins : je suis capable de passer des heures à n’ouvrir la bouche que pour donner des ordres à ma famille. C’est trop nul vraiment, en plus je ne m’en rends compte que quand mes enfants me regardent l’air de dire :

« Euh, t’as bientôt fini ? ».

On oublie de s’écouter, on oublie de prendre la température de l’eau.

  • Est-ce que je suis glaciale avec ceux que j’aime ?
  • Est-ce que mes paroles sont comme des coups de tonnerre ?
  • Est-ce que je suis trop économe de paroles positives ?

Je vis depuis presque vingt ans dans le sud de l’Allemagne, chez les souabes. C’est comme ça qu’on appelle les habitants de cette région. Ils ont leur patois, leurs plats préférés et surtout leur manière d’être. On m’avait prévenue dès le début : ici, les compliments ce n’est pas trop courant.

J’en ris souvent avec mon mari. Ils ont certaines expressions typiques. À la question « Le repas est-il bon ? », ils répondent : « Ben, on peut l’avaler ».

Ils disent « pas mauvais » quand ils trouvent un truc super. Et voici leur expression préférée : « Ne pas avoir rouspété, c’est déjà avoir donné assez de louanges ». J’essaye de ne pas trop m’habituer.

Et le “pompon”, c’est cette blague :

Une femme demanda un jour à son mari « est-ce que tu m’aimes ? » Celui-ci lui répondit : « Je te l’ai dit à notre mariage que je t’aime, si ça devait changer, je te le dirais, voyons ! ». Je rigole un peu en y pensant.

Bien entendu, c’est exagéré, mais parfois j’ai l’impression qu’on glisse dans cette attitude sans même s’en rendre compte. On fait l’épargne des « je t’aime », « je suis sous le charme », « je suis épatée par tes efforts », « bravo, c’est super », « je t’aime parce que », « merci », « je suis fière de toi », « j’apprécie tant d’être ta Fabuleuse »… 

Autant de mots qui valent de l’or, pourtant !

J’ai toujours en mémoire des phrases qu’on m’a dites et qui m’ont encouragée tout particulièrement. Même quand c’est un truc anodin — comme un simple « tes jolies maisons » au milieu d’une phrase de mon mari. Des mots qui font tellement de bien quand on les reçoit et qui ne nous coûtent rien à la base. Des paroles qui mettent un baume sur nos cœurs, tout comme on met de la crème sur nos mains toutes asséchées et qu’on peut presque entendre tous les pores de notre peau nous dire merci.

Paul Eluard a écrit dans un texte qui s’intitule Gabriel Péri :

« Il y a des mots qui font vivre

Et ce sont des mots innocents

Le mot chaleur et le mot confiance

Amour justice et le mot liberté

Le mot enfant et le mot gentillesse

Et certains noms de fleurs et

Certains noms de fruits

Le mot courage et le mot découvrir

Et le mot frère et le mot camarade

Et certains noms de pays de villages

Et certains noms de femmes et d’amies. »

Avons-nous oublié la force des mots ?

J’aimerais tant nous le rappeler avec ce texte. 

  • Soyons à l’affut de nos bouches et des paroles qui en sortent.
  • Soyons les observateurs attentifs de nos propres phrases.
  • Soyons résistants et n’hésitons pas à dire des choses positives, de manière authentique.

Redire à nos Fabuleux qu’on les aime, leur glisser un mot doux dans l’oreille comme on leur donnerait un cadeau. Prendre le pari, au milieu du chaos des départs matinaux des enfants et des « t’as brossé tes cheveux ? », « tu as pensé à ta boîte à goûter ? », « mets tes chaussures tu vas être en retard », de prononcer des « je suis fière de toi », « courage pour l’interrogation de math » ou « ce pull te va vraiment bien », « je t’aime, tu sais ».

Réapprenons à dire l’évidence :

  • oui, je te trouve belle,
  • oui, je suis fière de toi,
  • oui, j’apprécie la vie de famille,
  • oui, j’aime bien qu’on rie ensemble pendant les repas,
  • oui, ton style me plaît,
  • oui, j’ai bien vu que tu as réussi ce projet important

… et pas seulement le “pratique”, la critique, la petite pique malheureuse (celle qui fait sortir la pression qui s’était accumulée sur nos épaules).

Parce qu’on en a tous tant besoin, parce qu’on est pas des machines, parce que bien souvent, les gentils jolis vrais mots des autres seront notre carburant pour les heures, les jours, les semaines qui viennent.

Osons le bon, le gentil, le tendre, l’encourageant, le vrai positif !

Tu sais, les compliments peuvent être si importants dans nos vies que certains psychologues nous conseillent d’écrire ceux qu’on a reçus dans un petit carnet. Comme un trésor qu’on pourra relire quand on a besoin de se souvenir de tout le “bon” caché au fond de nous, sous nos cernes et humeurs moroses.

Alors, comment faire ?

Eh bien, un pas à la fois, prenons ce chemin ensemble, courageusement, chaque matin, chaque soir. En faisant le premier pas et en vivant une communication plus positive, tu encourages les autres à en faire de même.

Fabuleusement simple au fond mais parfois difficile à pratiquer, ou tellement vite oublié. Pas grave : on peut décider chaque jour d’essayer à nouveau et ce, pour construire nos foyers et nos relations sur des mots qui bâtissent, donnent forces et encouragent !

Parce qu’il y a des mots qui font vivre.



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Cet article a été écrit par :
Rebecca Dernelle-Fischer

Psychologue d’origine belge, Rebecca Dernelle-Fischer est installée en Allemagne avec son mari et ses trois filles. Après avoir accompagné de nombreuses personnes handicapées, Rebecca est aujourd’hui la maman adoptive de Pia, une petite fille porteuse de trisomie 21.
https://dernelle-fischer.de/

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