Ma rentrée d'enseignante en petite section - Fabuleuses Au Foyer
Vie de famille

Ma rentrée d’enseignante en petite section

Liv 4 septembre 2019
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J’ai déballé mes cartons. J’avais oublié que j’avais commandé ce puzzle, ou ce jeu d’empilement, j’adore extraire les nouveaux jouets de leur boîte, encore intacts, m’imaginer comment et quand ils seront manipulés par les petites mains. J’ai fait un tri entre ceux qui peuvent être directement introduits et ceux qui attendront sagement sur une étagère avant d’être gentiment martyrisés.

Je parcours ma salle de classe du regard.

Elle était beaucoup trop chargée, quand je suis arrivée. Heureusement, je sais maintenant avec l’expérience ce dont ont besoin mes tous petits élèves à leur arrivée à l’école : de l’espace, des espaces bien définis, où ils peuvent circuler, et surtout, une organisation qui me permette d’avoir chacun d’entre eux sous les yeux, à chaque instant. C’est qu’à cet âge, on aime bien se planquer dans les recoins.

J’ai ramené du matériel de chez moi, afin de faire de ma classe un endroit plus chaleureux et accueillant, malgré la maigreur du budget : un meuble pour ranger les puzzles, des coussins pour le coin bibliothèque, j’ai même ramené mon ancienne poupée, pas ma préférée évidemment, mais elle est en très bon état, elle remplacera parfaitement celle qui a perdu tous ses cils et qui ferait peur au premier venu.

Me voilà arrivée à ce moment de latence :

J’attends mes premiers élèves, je suis prête, eux aussi, je le sais, je sens cette effervescence parce qu’elle a été mienne ce matin : la coiffure de ma fille parfaitement ajustée, les vêtements sans un pli, le petit sac à dos inauguré pour l’occasion, la photo chargé d’émotions et envoyée à toute la famille, le coeur qui se serre :

« Ça y est, c’est sa première rentrée, qu’elle est mignonne, mon Dieu que le temps passe vite, elle va aller à la cantine, non mamie la récupère, j’ai mis ton doudou dans le sac ma chérie, on vient te chercher ce midi, d’accord ?, tu vas rencontrer ta maîtresse et te faire des supers copains, je suis sûre que ça va bien se passer, je t’aime, je t’aime mon coeur ! »

La directrice a ouvert la porte de l’école.

C’est un matin d’été, il fait encore un peu frais mais on sent que la journée sera belle. Je commence à entendre des bruissements de pas et des chuchotements dans le couloir, tout le monde parle à voix basse. Je sais qu’il me reste encore une minute, le temps que les petites vestes, les petits gilets et les petits manteaux soient déposés sur les patères provisoirement décorées.

Et les voilà.

Ils rentrent : il y a les parents timides, ceux qui ne savent pas quoi dire ni où se mettre, ceux qui sont à l’aise parce que c’est leur quatrième première rentrée, ceux qui te sourient et t’envoient un bonjour sonore, ils te connaissent, tu as eu leur grand ils sont contents que leur fils soit avec toi, ils t’aiment bien, tu as leur confiance.

Il y a ceux qui sont pressés, ceux qui ne se décollent pas de leur enfant, encore un câlin encore un bisou. Et au milieu de tous ces adultes, les petits déambulent. Certains sont nés pour vivre ce moment. Aucun ne pleure.

Ce qui fait peur, ce n’est pas l’école, c’est la séparation.

Elle arrive, d’ailleurs. Les premiers parents sont partis. Ce sont ceux qui savent que tout se passera bien. Et de fait, leur enfant ne pleure pas. Il est déjà en train de construire un bateau à deux étages, ou de cuisiner une ratatouille au chocolat à la poupée qui se retrouve évidemment toute nue. Les parents inquiets ou prévoyants te demandent de repréciser les horaires ou le déroulement de la matinée. Il y a les mamans qui versent une larme à la porte.

Je les comprends.

Moi aussi, j’ai versé une larme le jour où mon mari m’a envoyé une photo de notre aînée dans sa toute première salle de classe.

Pour l’instant, je rassure les parents, en les amenant subtilement vers la sortie. Je suis ferme. Je sais que plus la séparation est rapide, mieux elle se passe. Je demande aux parents allophones de dire dans leur propre langue qu’ils vont revenir.

Surtout. Dites leur que vous allez revenir.

Ce sont ces séparations qui sont les plus déchirantes. Je me retrouve avec des enfants hurlants et se débattant dans mes bras, je leur répète que maman ou papa vont revenir, mais ils ne comprennent pas un traître mot de ce que je leur raconte, alors j’utilise d’autres techniques pour les rassurer. Les chansons marchent très bien. Un petit gâteau aussi : la collation est interdite, on s’en fout, c’est la rentrée, on fait exception.

Je distribue des câlins.

Des paroles rassurantes. J’initie des jeux. Je limite au maximum les déplacements car je sais que les moments de transition ou de coupure sont difficiles à vivre.

Dans la très grande majorité des cas, je rendrai les enfants à leur parents, intacts, heureux et souriants, la plupart s’étonneront que leur fils ou leur fille n’ait pas pleuré, ou se soit arrêté de le faire juste après leur départ. Bien sûr, il y aura des moments compliqués – la cantine, le coucher pour la sieste, la récréation quand on retrouve le grand frère ou la grande soeur et qu’il faut bien le lâcher quand la cloche sonne – mais je resterai toujours étonnée de la rapidité avec laquelle toutes les habitudes et le grand ballet de l’école se mettent en place chez les enfants de trois ans. Pour ceux dont la culture est très éloignée de l’école, ce sera un peu plus long

Mais ce n’est pas grave.

Parce que c’est ce qui fait le charme de ce niveau si épuisant et si difficile : en Petite Section, on a le temps.

  • De prendre ses marques.
  • De pleurer.
  • De rester mutique.
  • De se cacher.
  • De ne pas dire bonjour à la maîtresse, ni à l’ATSEM, ni au directeur d’ailleurs.
  • D’aller chercher son doudou dans le sac à dos.
  • De mettre ses chaussures à l’envers.
  • De se tromper de manteau.
  • De refuser de faire des jeux.
  • De chanter les chansons seulement avec les mains.
  • D’appréhender les règles, tout un tas de règles.

On a le temps. On a toute une année devant nous.



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Cet article a été écrit par :
Liv

Liv forme avec son fabuleux un couple mixte et est maman de trois petites métisses de 8, 6 et 2 ans. Après treize années de professorat des écoles, elle amorce une reconversion dans le développement durable. Son grand amour, ce sont les livres et l’écriture.
http://mamanlempicka.com

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