Je fais danser ma main, tendrement, dans tes cheveux,
Tes mèches blondes s’entrelacent, lentement, entre mes doigts,
J’écoute ta respiration apaisée et je contemple tes paupières closes,
Aujourd’hui c’était notre dernière tétée.
Je me souviens des premières, tu sais.
Tu n’avais alors que quelques semaines,
Tu semblais préférer le sein gauche au droit.
Je me souviens m’être dit avec une pointe d’ironie,
« Le droit a peut-être mauvais goût ? »
Effectivement.
C’est plus d’un an plus tard que j’ai découvert qu’il avait un goût
De cancer.
Ma fille, ma toute petite fille, tu m’as sauvé la vie.
Et tu es bien trop jeune pour avoir une maman malade.
Les semaines passaient et la boule est apparue,
Tu avais tendance à la taper, à me la montrer,
Moi, je pensais que c’était un bouchon de lait.
Nous avons pris rendez-vous chez le médecin qui m’a rassurée.
Mais tu me griffais le sein, de plus en plus fort.
Alors au mois de juin, alors que tu avais déjà 8 mois, j’ai insisté pour obtenir une échographie mammaire.
« Oui, il y a bien une masse mais pas d’inquiétude, on n’a pas de cancer du sein à 23 ans en allaitant. »
L’été a laissé place à l’automne.
Les feuilles sur le sol, les flaques d’eau et les bottes en caoutchouc,
Ta première bougie et tes premiers pas.
Puis l’hiver s’est installé.
C’était quelques semaines avant Noël,
Le sapin brillait de mille et une lumières.
Son mon pull, la boule ne cessait de grossir.
Mon téton a commencé à se rétracter, j’étais de plus en plus fatiguée.
Une fatigue pesante, qui semblait écraser mes épaules.
Et un jour tu as pointé du doigt mon sein droit et tu as dit clairement :
« BOBO ».
Je suis restée là, le cœur à l’arrêt, le temps suspendu.
Nous avons refait des examens, chez une autre spécialiste.
Une spécialiste qui a froncé les sourcils durant l’échographie,
Qui a demandé dans la même semaine une mammographie et une biopsie.
Une adorable femme, qui a annoncé à ton père et à moi que
Ta maman souffrait bien d’un cancer du sein.
Il s’était installé bien confortablement dans mon corps.
Apparemment, il dépendait de mes hormones.
Il était invasif, sûrement génétique et particulièrement méchant.
Tout mon petit monde s’est écroulé.
Mais toi, tu étais là, dansant au milieu de ta chambre,
Avec ta petite poupée aux yeux bleus,
Tu riais aux éclats.
Je ne savais pas encore comment te dire que ta maman était malade.
Que les prochains mois seraient peut-être sombres et que je ne pourrais plus danser avec toi comme avant. Que mes jambes ne voulaient plus me porter.
La peur de te voir grandir sans moi m’a frappée si violemment que mes jambes ont flanché.
J’ai décidé qu’il était hors de question que ce cancer t’enlève ta maman.
Je voulais que toi aussi, tu aies ta maman qui te tiendrait la main à ta première rentrée, arrangeant ta tenue et t’embrassant devant le portail, les yeux perlés de larmes.
Je voulais que toi aussi, tu dessines des fleurs adorables sur ta carte de fête des mères.
Je voulais que toi aussi, tu puisses me claquer la porte au nez ; une fois adolescente, en hurlant que la vie était injuste.
Je voulais que toi aussi, tu puisses cacher ton nez au creux de mes bras, à chaque fois que tu en ressentais le besoin.
Te plonger dans cette odeur et cette étreinte familière. Les bras de ta mère.
Peu importaient les embûches sur le chemin. Il était hors de question que je meure.
J’allais me battre. De toutes mes forces. Pour toi. Pour nous.
Tout s’est enchaîné comme une tornade que je ne pouvais pas contrôler. Les aller-retour au Centre de cancérologie. Les biopsies, pet scan, prélèvement, scanner, IRM…
Et je te regardais continuer de danser, danser ta chambre. Je ne t’avais toujours rien dit.
Un soir, je me suis accroupie et je t’ai regardée dans les yeux, j’ai passé ma main sur tes joues roses. Je t’ai dit que j’avais un bobo, que tu avais raison. Que maman était très forte et que les médecins allaient l’aider à soigner son bobo. Comme quand tu t’étais fait mal au doigt et que tu avais dû dormir dans la maison des docteurs pour qu’on te soigne.
Papa m’a embrassée sur le front et j’ai préparé mon sac, le cœur lourd. J’ai emmené une de tes peluches avec moi, je t’ai promis que je te la rendrai à mon retour.
Le lendemain j’ai perdu l’intégralité de mon sein droit.
Je ne souhaitais pas que tu me voies souffrir. J’ai donc décidé que tu resterais chez ta mamie le temps de ma convalescence.
Je t’ai emballé une magnifique poupée aux yeux bleus pour ton retour. Pour nos retrouvailles.
J’avais tellement hâte de revoir tes pieds danser sur le sol de ta chambre.
Je suis encore en pleins traitements. Le combat n’est pas terminé, nous le savons.
Mais si toi et moi, on décidait de ne pas s’inquiéter de demain ?
Je veux sauter dans les flaques d’eau avec toi, courir le plus vite possible pour attraper ce nuage. Dessiner des arcs-en-ciel à la craie devant la maison. Grimper aux arbres aussi haut que le ciel. Découvrir la maison des écureuils dans la forêt enchantée. Parcourir les montagnes et les océans.
Danser au milieu du salon en pyjama sur notre musique préférée.
Luna, ma petite fille.
Je ne sais pas de quoi demain est fait.
Mais je veux vivre maintenant pour toujours contre toi.
Dors tranquille, ma petite fille.
Maman est une survivante,
Maman est une guerrière,
Maman veille sur toi.
Je t’aime.
Ce texte nous a été transmis par une fabuleuse maman, Justine.