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Les objets de nos vies : mon lit

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Ce matin, en rangeant ma chambre, je passe devant mon lit. Je jette la couette dessus, dissimulant d’un geste les pyjamas qui traînent en boule, en me disant qu’il serait peut-être temps de changer les draps. Je m’arrête un instant, et je reste songeuse en pensant au temps béni où, plus jeune et sans trop d’obligation, je traînais dans mon lit. Et maintenant, presque chaque jour, je le quitte à regret, en ayant l’impression de ne pas avoir assez dormi.

Mais en regardant ce lit, en le regardant vraiment, une tonne de souvenirs ont déferlé dans ma tête.

Aussi ridicule que cela puisse paraître, j’ai décidé d’écrire l’histoire de mon lit.

Cela fait bientôt 10 ans que je dors dans le même lit. 10 ans, ça fait comme si nous avions dormi 3 ans en continu sur ce matelas douillet.

Ce lit, nous ne l’avons d’ailleurs pas choisi. Au lendemain de notre mariage, nous n’avions pas encore eu le temps (ni les sous !) d’en acheter un, et nous dormions dans un canapé-lit spartiate et légèrement défoncé. Des amis et voisins, voyant notre étroite et inconfortable couche, nous ont proposé de nous offrir un lit double, dont ils ne se servaient pas et qui les encombrait. Ni une, ni deux, les deux hommes revinrent quelques instants plus tard avec ce grand lit, qui depuis ne nous a pas quittés. Ce lit, qui de manière totalement inattendue nous a été donné, est pour moi le signe de la générosité même d’amis qui, spontanément, nous ont offert ce dont nous avions besoin.

Ce lit est devenu le lieu de la découverte de nos corps, de l’exploration de notre sexualité.

Il nous a appris à prendre le temps de nous connaître, dans le calme de la pénombre. Il nous a invités à prendre le temps de rester l’un avec l’autre. Quand je regarde mon lit, je vois tous les moments de tendresse échangés, les caresses et les étreintes amoureuses. Il porte en lui l’histoire de nos amours. Et leurs fruits. C’est le lieu de la conception de nos enfants. Et le lieu même où mon troisième enfant est né.

Ce lit est également celui qui apaise nos angoisses et nous invite à nous jeter dans ses bras.

Il nous fournit toujours le réconfort que nous attendons, il apaise les maux et les disputes. Si parfois je me couche animée d’une sourde colère, je me réveille toujours plus apaisée, comme si ce lit avait absorbé mes ténèbres intérieures. 

Ce lit a pris ma fatigue aussi. Combien de fois me suis-je écrasée sur lui, lourde de la pesanteur quotidienne ? Quand je vois mon lit, je vois le courage et la force que j’y ai puisés, pour oser au matin me lever et relever le défi d’une nouvelle journée. 

Quand je regarde mon lit, je vois aussi les visages riants de mes enfants, le prenant d’assaut pour tenter de nous en extirper afin qu’on leur serve un petit déjeuner. Ce lit est aussi le lieu où j’ai allaité mes enfants. En pleine nuit, je m’y asseyais ou m’y allongeais le temps de la tétée, avec mon bébé au sein, tout contre moi. Le matelas a gardé la trace des petites taches de lait, il est désormais constellé d’auréoles jaunies.

Ce lit est aussi ce nid douillet dans lequel mes petits oiseaux viennent parfois chercher réconfort lorsqu’ils sont malades. Comme un refuge, perdu au milieu de l’immensité de la couette, ce lit leur a offert le réconfort de se savoir aimé, et cela leur suffisait pour oublier leurs petits maux.

Ce lit a beaucoup changé au gré de nos déménagements.

D’abord immense, il occupait toute notre chambre dans notre premier appartement, laissant tout juste de quoi ouvrir la porte. Maintenant, dans notre chambre plus spacieuse, il nous semble minuscule. 

Les murs ont déjà changé cinq fois, mais il est toujours là, ami fidèle, bon conseiller, consolateur. Il m’invite à prendre soin de moi, à prendre soin de nous. Il semble me dire « pourquoi traînes-tu le soir ? Viens donc te reposer ici. Dépose-moi ton fardeau, il sera ensuite plus léger, plus facile à porter. »  

Les objets familiers sont un peu comme des amis : ils sont les témoins silencieux de notre histoire, de nos doutes et de nos élans.

Quand on prend le temps de les regarder, on ne voit pas en eux que leur aspect utilitaire. Comme un miroir, ils reflètent des fragments de notre vie. En les regardant, c’est nous que nous voyons. Nous y sommes attachés au sens où nous nous sentons liés à eux, par un fil invisible. Être entouré d’objets familiers que l’on sait voir, c’est être entouré d’objets qui disent notre histoire et nous rappellent ce que nous avons vécu. 

Et toi chère Fabuleuse, que vois-tu, lorsque tu regardes ton lit ? De quels souvenirs est-il chargé ? Faire acte de mémoire permet d’éprouver de la gratitude pour ce qui est là, sous nos yeux, et que d’ordinaire nous ne voyons plus.  Autour de toi, quand tu sais les écouter, quels objets disent ton histoire ? Marie Kondo, la magicienne du rangement, invite à prendre le temps d’exprimer notre gratitude pour les objets qui nous entourent, pour ce qu’ils nous ont apporté, pour les souvenirs qu’ils portent en eux. 

Essaye ! Et tu verras, tu seras emplie de gratitude pour ta maison et les trésors qu’elle renferme déjà.



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Cet article a été écrit par :
Marie Lucas Leborgne

Professeure agrégée de philosophie et mère de trois enfants, elle vit actuellement à Compiègne. Mère et prof à temps plein, quand il lui reste du temps libre elle continue ses recherches sur le corps féminin en philosophie. Et à ses heures perdues, elle écrit de la fiction jeune adulte. 

Elle a à coeur de porter sur les questions chères aux Fabuleuses un regard philosophique et concret, inspiré de ses lectures et de ses propres questionnements.

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