Cet été, Micheline a décidé de tenir un journal, parce qu’elle a lu quelque part que c’est bon pour la santé mentale, que ça permet de s’exercer à la gratitude comme le conseillent les Fabuleuses, et puis surtout parce qu’elle a trouvé ce magnifique petit carnet à fleurs chez le libraire du coin et qu’il lui fallait une excuse pour l’acheter. Finalement elle trouve ce petit exercice très distrayant et tous les soirs, elle griffonne passionnément avec son beau stylo plume tout neuf (bah oui, elle n’allait pas écrire dans son somptueux carnet avec un Bic mâchouillé. C’est important, le matériel !).
En exclusivité pour toi, voici les meilleurs extraits.
Lundi 10 juillet, 9h45
Cher Journal,
Voici enfin le premier jour des vacances, je suis en joie ! Même si, concrètement, les vacances ont commencé vendredi dernier, je refuse de compter le week-end de préparation des valises, chargement de la voiture et inévitables engueulades qui en découlent comme faisant partie des vacances. On oublie les tracas, c’est le premier lundi des vacances, youpi !
Nous sommes arrivés en Bretagne hier soir à minuit (Jean-Claude a encore refusé d’écouter le GPS, on a perdu 2 h…)(Mais c’est pas grave, on est en vacances, je l’aime). Nos amis les Truque nous ont invités dans la maison en bord de mer qu’ils louent chaque année. Gilberte nous a vraiment vendu du rêve avec la vue à couper le souffle et la plage au bout du jardin. J’ai drôlement hâte de courir me jeter dans l’eau : on a eu tellement chaud ces derniers jours ! Gilberte m’avait prévenue que c’est une vieille maison « pleine de charme ». Pour l’instant je n’ai pas trop vu le charme, mais plutôt des auréoles d’humidité sur le papier peint à fleurs orange… Chacun ses goûts, je ne juge pas. (Mais un peu quand même…) Jean-Claude s’occupe des enfants ce matin, on a décidé qu’on se lèverait chacun notre tour pour pouvoir faire des grasse matinées, sauf que les murs (en plus d’être moches) sont très très trèèèès fins. J’entends tout : j’ai l’impression que mon lit est dans la cuisine. Ce n’est pas le cas, sinon j’aurais pu éviter que Gudule renverse son jus d’orange sur la petite Gwendonaëlla (oui, les Truque sont bretons, comme nous le rappelle toutes les 10 minutes Tugdual-Erwan, au cas où son prénom nous laisserait des doutes…).
Mais ce sont les vacances ! Je positive ! Je vais me lever, ouvrir les rideaux et aller prendre mon café sur la plage, youpi !
10h
La plage est invisible : la maison entourée d’un brouillard opaque. Il fait 15 degrés. Je me demande si on a bien fait de venir ici… Ressaisis-toi Micheline, t’es en vacances ! Allez zou, je me lave les cheveux et on va faire une balade.
15h
Cher journal,
La brume ne s’est pas levée, mais la pluie, si. On a tenté une petite balade au marché du coin qui s’est transformée en expédition « achat de cirés », apparemment indispensables à la survie, ici. Tugdual-Erwan s’est moqué de moi parce que je n’ai mis dans la valise des enfants qu’un seul pull. Je me suis un peu tendue, mais j’ai réussi à ne pas aboyer que la Bretagne n’a vraisemblablement pas compris que l’été il fait beau et chaud, normalement. Jean-Claude, lui, est ravi. Il s’est acheté la panoplie complète du parfait petit breton : ciré et bottes assorties, marinière, pull marin et même une vareuse. Quand je pense qu’il ne voulait pas faire de restau en amoureux le mois dernier parce que ce n’était « pas sérieux pour le budget » je l’ai un peu en travers de la gorge, mais c’est pas grave, on est en vacances, je l’aime.
P.S. Mes cheveux n’ont toujours pas séché.
Mercredi 12 juillet, 18h
Cher Journal,
On a vu la mer ! Deux fois une heure ! C’est vrai que c’est très beau. De notre chambre, la fenêtre donne sur une jolie petite anse agrémentée de rochers et de voiliers (enfin, quand la brume se lève). Les enfants sont aux anges : sur la plage, le sable est bien mouillé (tu m’étonnes, il pleut 5 fois par jour) et ils peuvent faire des châteaux de sable géants. Jean-Claude s’épanouit de jour en jour, j’ai l’impression que ce sont ses meilleures vacances. Il se gave de fruits de mer (coucou le budget restau !) et d’air iodé en faisant de longues balades avec Tugdual-Erwan qui lui raconte toutes les légendes locales et ne quitte plus sa marinière. Un vrai gosse. Personnellement je t’avoue, cher journal, que je suis moins emballée. Bien sûr, je suis heureuse de voir mon Claudio et les enfants aussi heureux, mais j’ai du mal à partager leur enthousiasme pour cette drôle de région où les nuages vont tellement vite qu’il fait presque nuit plusieurs fois par jour… Gilbert dit qu’il faut du temps pour aimer cet endroit et que ça viendra. Jean-Claude a renchéri « la Bretagne, ça vous gagne ! » et comme je suis bêtement amoureuse, j’ai ri.
Jeudi 13 juillet
Cher journal,
Je deviens folle. Cet endroit, c’est l’enfer ! La météo est en syndrome prémenstruel permanent, complètement instable et capricieuse. Les gens ici vont à la plage avec un chariot plein. On y trouve bien sûr les jeux de plage et des maillots de bain, casquettes et serviettes, pour les moments où il fait chaud, mais aussi des pulls, cirés, combinaison et thermos de chocolat chaud pour les autres moments où l’automne débarque. Imagine : en 3 heures de plage, on a alternativement besoin des 2 types de matos. J’ai l’impression que je suis la seule que ça perturbe… Les gens sont fous !
Jean-Claude est rentré du marché tout content en exhibant des bols bretons avec les prénoms de toute la famille et une nouvelle bourriche d’huîtres avant de claironner « ce soir, moules frites ! »
Cher journal, je dois t’avouer que je ne suis pas fière de moi, mais j’ai pété un câble. C’est la troisième fois qu’on mange des moules, je n’en peux plus. En plus, Tugdual-Erwan essaie chaque jour de me faire goûter des bulots ou des bigorneaux, il semble prendre comme un affront personnel le fait que je n’aime pas les fruits de mer. Et puis mes cheveux n’ont toujours pas séché depuis lundi, mais je refuse d’acheter un sèche-cheveux parce que merde, on est en été quand même. Donc je me suis mise à bouder, puis à hurler quand Frédégonde a éternué. J’ai dit des trucs comme : Évidemment qu’elle est malade, il fait moins 8000 ici ! On mange n’importe quoi, je ne rentre plus dans mon maillot à cause du foutu Kouign-Amann qui est aussi bourratif qu’impossible à écrire, de toute manière je ne peux même PAS mettre mon maillot parce qu’on crève de froid sur la plage, on dort dans des draps humides, la maison est moche, il manque le K et W au jeu de scrabble alors forcément je perds, et puis j’en ai marre de tout et de tout le monde, et Jean-Claude, sache que je ne supporte pas ta mère.
Non, ça n’avait rien à voir, mais ça m’a fait du bien
Oui bon, y’a pas que la météo en syndrome prémenstruel hein.
Vendredi 14 juillet
Cher journal,
J’ai bien dormi hier soir et : Miracle ! Pas un nuage aujourd’hui ! On a passé la journée sur une jolie plage : pique-nique pantagruéliquement délicieux (mais si Tugdual-Erwan essaie encore de me faire avaler un bulot, je jure de le lui enfoncer dans le nez) les enfants ont pêché des crevettes qu’on pourra manger pour l’apéro ce soir, seulement 3 disputes et un coup de soleil, franchement, rien à redire ! Ce soir on emmène les enfants au resto, ils auront le droit à une petite bolée de cidre (bon, peut-être pas Gudule) puis on ira voir le feu d’artifice depuis la digue du vieux port (j’ai eu envie de chanter « la digue du cul » toute la journée…) tout le monde est excité, vive les vacances (mais si Jean-Claude répète encore une fois sa blague idiote « la Bretagne, ça vous gagne », je lui fais bouffer sa marinière).
Samedi 15 Juillet, 20h
Cher journal
Évidemment, Jean-Claude est tombé dans le port, hier. Ce matin il est resté couché (la brume ne s’est pas levée non plus) il est malade comme un chien (enfin, un chien qui serait malade comme un homme…) Je ne sais pas si c’est le chouchen, la galette à l’andouille de Guéméné, le soleil toute la journée, les huîtres en perfusion depuis 5 jours ou le plongeon dans le port (ou le combo du tout), mais le pauvre n’est pas au top de sa forme. Comme je suis sympa, je ne lui ai pas demandé s’il trouve toujours que « la Bretagne, ça vous gagne ! », mais je l’ai pensé trèèèès fort…
Autre événement intéressant, nous avons lancé une machine (mais pas trop loin hihihihi c’est ma blague pref) et je l’ai étendue ce matin, mais rien à faire, ça refuse de sécher. J’y vois un signe du destin : la panoplie du parfait breton de Jean-Claude ne doit pas rentrer avec nous à la maison. Mais pour être honnête et accomplir pleinement la volonté du destin je devrais aussi laisser ma jolie robe ici et ça me tente moyen… Je suis bonne pour fourrer toutes les fringues encore humides dans les valises. Nous partons demain, direction le Sud Ouest et j’ai hâte de retrouver le soleil ! Quand j’ai fait cette remarque à Tugdual-Erwan, il m’a répondu qu’en Bretagne il ne pleut que sur les cons. Je crois qu’il me visait… C’est sensible, les Bretons dis donc.
Gratitudes de la semaine pour :
- La joie des enfants qui ont passé leur temps à rire avec leurs copains et de Jean-Claude heureux comme un gosse dans sa marinière trempée, les bottes pleines d’eau et l’épuisette pleine de crevettes.
- Le fou rire quand Jean-Claude est tombé dans le port.
- La vue sublime depuis la maison les rares moments où on a vu le soleil
- Les bols avec les prénoms des enfants que Claudio a dénichés sur le marché
- Les longues papotes avec Gilberte les pieds dans le sable
- Les hortensias obèses qui jettent des taches de couleur sur les maisons grises
- L’air iodé
- Le chouchen.