Voilà, c’est fini. Comme dans la chanson de Jean-Louis Aubert.
Nous sommes le vendredi 5 juillet, il est 16h50, et tu viens de récupérer ton enfant à l’école pour la dernière fois dans cette classe. La prochaine fois, ce sera en septembre, dans une autre classe, avec une autre maîtresse ou un maître.
Tu regardes la porte se fermer doucement et tu te demandes ce qui se passe derrière cette porte close pour deux mois.
Je vais te le dire, moi.
Derrière cette porte qu’elle ferme pour la dernière fois de cette année scolaire, se trouve une maîtresse (ou un maître), un peu émue, qui regarde partir, pour la dernière fois de l’année, le dernier parent retardataire.
Elle avait pourtant bien renvoyé un mail de rappel pour dire qu’il n’y aurait pas de périscolaire ce jour-là, mais elle savait, d’expérience, que tout le monde ne serait pas parti à 16h30. Elle savait que certains parents piafferaient dès 16h10, impatients de récupérer leurs marmots et de partir illico presto (because les bouchons : vite-vite, partir avant tout le monde !) ; comme elle savait que d’autres joueraient la carte de l’oubli pour n’arriver comme des fleurs qu’au dernier moment (haha, l’Éducation nationale, vous n’êtes pas en retard pour les vacances, hein !).
Elle a rendu le dernier enfant à ses parents, a souhaité une dernière fois de bonnes vacances (bah surtout pour vous, hein !
Parce que les profs, c’est toujours en vacances, haha), et elle a fermé une dernière fois cette porte qu’elle a ouverte avec le sourire tous les matins depuis septembre, pour recevoir les enfants et les doléances des parents, les petits cartables et les gros chagrins (ou l’inverse).
Elle s’est assise à son bureau une dernière fois et elle a laissé les larmes monter. Une première fois, j’espère. Une dernière fois, peut-être.
Et tout doucement, avec les larmes, elle a laissé sortir d’elle toutes les émotions de cette année :
– La fatigue, intense, parce que même si les profs sont tout le temps en vacances, plus de 25 (et souvent plus de 30) enfants sous ta responsabilité dans la même pièce, toute l’année, c’est épuisant.
– La joie d’avoir réussi à faire progresser Bidule, d’avoir créé une ambiance de classe, d’avoir fait chanter Trucmuche en public, d’avoir décelé les difficultés de Machinchose et d’avoir emmené toute la classe à un niveau de connaissance supérieur. La joie de les avoir tous vus grandir et s’épanouir, la joie de faire ce métier.
– La frustration de ne pas avoir été entendue quand elle a parlé des problèmes d’Untel, de ne pas avoir su renouer le dialogue avec les parents de Polo, de ne pas être sûre que Ginette sera à sa place dans la classe supérieure l’année prochaine.
– La tristesse de ne plus revoir ces petites bouilles adorables lundi matin.
– Le soulagement de ne plus revoir ces petites bouilles adorablement monstrueuses lundi prochain.
Toutes ces émotions roulent avec les larmes sur les joues de la maîtresse…
Et puis, on frappe à la porte.
C’est Cunégonde, la collègue du cycle 3, qui vient dire au revoir.
On se prend dans les bras, on se dit que vraiment, l’année est passée à une vitesse a-hu-ri-ssan-te (et c’est vrai, dis donc), on se souhaite de bonnes vacances.
— Ah tu reviens lundi ?
— Oui, bah moi aussi.
Parce que le premier lundi des vacances, la maîtresse le passe dans sa classe, à ranger, trier, fouiller dans les coins, organiser pour l’année prochaine.
Comme elle passera son été à tanner sa famille pour courir les brocantes :
— « Haaaaan, des Kapla ! Mais c’est parfait pour la construction de l’espace, ça. Et pour la motricité vectro-sensorielle aussi ! »
— « Ohlala, je cherche ce Puzzle Catégo depuis siiiiii longtemps, les collègues de cycle 2 vont être ja-louses ! »
Ensuite, la maîtresse va ramasser tous ses paquets cadeaux, bourrer son sac à dos des derniers livres, manuels, puzzles qu’elle veut ramener chez elle, elle va rejoindre ses collègues et ensemble, ils regarderont les portes de l’école se fermer une dernière fois, les yeux brillants de joie, de fierté et de regrets mélangés (alors qu’ils savent tous qu’ils y seront à nouveau dans trois jours, hein… Ils sont fous ces profs…).
Et puis, ils se donneront une dernière accolade et vont s’éparpiller, comme leurs petits élèves un peu plus tôt.
À quoi reconnaît-on un enseignant début juillet ?
C’est simple : il marche sur ses cernes et il a les bras chargés de cadeaux.
Arrivée chez elle, la maîtresse retrouve parfois ses petits monstres à elle, et elle fait comme toutes les autres Fabuleuses : elle se plonge dans le tourbillon des valises, elle écoute ses enfants raconter le dernier jour, l’émotion des maîtres et maîtresses, la tristesse de quitter les copains pour deux mois ; elle prévoit les courses pour la semaine prochaine, les trajets…
Elle couche tout le monde, et puis elle reste un peu sur son balcon à regarder les étoiles.
Elle pousse un grand soupir :
— « À dans deux mois, les petits monstres ! »
Et elle va se coucher pour dormir 24 heures.
Et ensuite ?
Ensuite, haut les mains, peau de lapin…
La maîtresse en maillot de bain !