Matin d’automne,
Je glisse les pieds dans mes chaussettes,
Il fait encore un peu sombre, tout est calme.
Dehors, le brouillard attise la force des rayons de soleil qui commencent à percer à l’horizon.
J’aime les matins d’automne, leur rythme un peu particulier.
D’une main, j’allume la machine à café, de l’autre une bougie sur le rebord de la fenêtre.
La météo joue à saute-mouton, parfois été indien, parfois gelée du matin,
Parfois les deux.
Pull en laine ? Chemise en molton ? Aurai-je trop chaud quand le soleil pointera son nez ?
Chaussures en toile ? Petites bottines ? Aurai-je les pieds gelés à chaque coup de vent qui passe ?
Je joue le jeu, je fais l’oignon, et au cours des humeurs de la journée, j’enlève et remets les couches de vêtements dont je ne peux me passer ou qui m’encombrent.
Matin d’automne, matin joueur, blagueur.
Comme un enfant qui court nu dans toute la maison au lieu d’aller se mettre en pyjama. Comme toute l’énergie de mon cerveau quand je devrais me reposer. Le spectacle touche à sa fin, le rideau va bientôt tomber. L’automne sait que son temps est compté.
Mais il est farceur. Il sait bien que l’hiver se profile : le froid, le gris, le blanc et la lenteur !
Alors l’automne fait encore un peu le beau. Et tout comme un paon fait la roue pour nous montrer ses plus belles plumes, il étale sous nos yeux ses plus belles couleurs. Les feuilles qui volent dans le vent sont comme des milliers de confettis qui se posent à nos pieds. L’automne est artiste. Il parsème nos parcs, nos forêts et nos horizons des plus belles aquarelles qu’un peintre ne puisse créer. Sa lune est grosse, basse et orangée, et les gouttes dans le creux des feuilles jouent aux pierres précieuses, diamants éphémères qui s’étalent sous mes yeux.
Tout est comme un feu d’artifice, les couleurs qui explosent, les couchers de soleil qui s’enflamment, la nature qui nous offre un dernier pas de danse avant d’aller se coucher, d’hiberner. Comme une dernière poignée de main avant de se séparer, un baiser léger sur la joue, « un petit tour et puis s’en va ».
Matin d’automne, mon matin d’automne.
Comme j’aime te vivre. Tu m’apprends à changer le rythme de mes pas. Avec toi, je danse, je danse, je danse et puis je tombe de fatigue, j’ai besoin de me reposer. Tu aiguises ma fatigue. Tu m’apprends à me poser, me cocooner, me réchauffer. Avec toi, j’aime boire des thés chauds aux arômes orangés, sortir la couverture en laine quand l’humidité et le froid se glissent sous mes habits, allumer les bougies pour laisser la lumière faire son chemin dans nos foyers.
Automne, mon ami, tu m’apprends à lâcher prise, à vivre la beauté puis à la laisser partir.
Tu me fais la révérence, tu plies sous le poids de tes pommiers, tu nous offres les fruits de ton travail. Tu es partout, tu m’appelles à ouvrir les yeux, les oreilles et les mains. Tes cadeaux sont nombreux. Tu répands l’or sous nos pieds. Et les pas que nous faisons dans les tas de feuilles mortes deviennent des symphonies, la bande son de nos aventures quotidiennes.
Automne, tu es dans le tout petit et dans le tout grand.
Tu t’offres si généreusement. Tu es dans le marron brillant, ramassé en chemin par les enfants et leurs parents émerveillés. Tu es dans la pluie qui bat contre nos carreaux. Tu es dans le rayon de soleil qui pointe son nez soudainement et fait danser les poussières qui volent dans mon salon.
Tu m’invites à aimer mon foyer. À l’habiter de tous mes sens. Je peux t’entendre, te goûter, te voir, te sentir. Et quand tu me fais frissonner entre la pluie et le vent, quand tu te caches dans le brouillard, quand l’obscurité tombe trop tôt, quand la fatigue s’accumule, alors je rentre vite chez moi. J’y savoure la soupe aux légumes, la douceur des tissus, l’odeur du linge qui sèche, la chaleur des lumières parsemées de ci, de là. Je me rappelle que je suis bien, je suis chez moi, je dis merci.
Je dis merci pour la beauté,
Merci pour la chaleur,
Merci pour les couleurs,
Merci pour la moisson,
Merci pour ma maison,
Merci pour mes enfants,
Merci pour ceux qui m’aiment, et ceux que j’aime,
Je dis merci pour ces moments,
Quand je respire profondément,
Calmement,
Quand rien ne sert de courir,
Quand j’arrive à ouvrir au plus grands mes yeux,
Quand je savoure un moment les saisons qui me parlent.
Quand je les entends me dire « tout change, tout avance, tu peux lâcher prise, tu peux encore danser un peu dans le vent, tu trouveras le temps de te reposer ».
Quand l’automne me murmure son plus beau poème, quand il me dit que le temps qui passe nous fait mûrir et porter des fruits.
Quand l’automne me rappelle combien il est bon de recevoir mais aussi de s’offrir, de donner et d’aimer.
Je dis merci,
Je le respire, je le savoure,
Et je le ris, mon merci.
Devant toute l’audace de cette saison, je souris.
Je souris de son arrogance : ses feuilles y sont plus belles que les vitraux des cathédrales, son odeur remplit mes poumons et me berce l’âme, elle a le goût de châtaignes grillées sur le feu et la force des branches portant à bout de bras les fruits gorgés d’eau et de soleil.
Mon merci est sans fin.
Matin d’automne tant aimé.
Ne me laisse pas oublier que tu donnes sans te faire prier, que tu es généreux avec ta beauté. Et si j’ai froid un instant, si je suis triste de voir tomber les feuilles, de voir se raccourcir les jours, rappelle-moi que la vie ne perd pas de sa force.
Et apprends-moi encore un peu à aimer mon foyer, à le rendre chaleureux, à m’y blottir en confiance, à ouvrir les mains et donner généreusement et puis prendre le temps, moi aussi, de me reposer.
Matin d’automne,
D’une main, j’allume la machine à café, de l’autre la bougie au rebord de la fenêtre et mon cœur, rassasié, bat calmement, reconnaissant.