Lundi matin. Petite routine de début de semaine. Les garçons sont à l’école, la miss chez la nounou, c’est le moment où jamais de faire les courses sans risquer un pétage de plombs parce que le premier court après le deuxième en hurlant entre les jus de fruits et les bouteilles de vin, et que la troisième a rempli le caddie avec tout ce qui lui est tombé sous la main.
En prenant mon caddie, je la vois.
Elle se tient là, debout, avec un petit panier posé sur la main. Elle ne semble ni désespérée, ni à bout, mais elle espère certainement que son petit panier sera plus lourd quand les nombreuses personnes faisant leurs courses y auront laissé quelques pièces. La pauvreté m’interpelle à chaque fois. Comment réagir, comment trouver les bons mots ou attitudes pour alléger un peu le fardeau de toutes ces personnes croisant nos routes… ?
Je choisis une part de pizza chaude qu’elle pourra manger ou jeter, comme le font parfois certaines personnes qui ne souhaitent que de l’argent… Je me fais même la réflexion de ne pas en prendre une avec des lardons au cas où elle serait musulmane et ne mangerait pas de porc (mais, attends j’y pense c’est le ramadan de toute façon).
En sortant du magasin, mon caddie déborde de tout un tas de nourriture qui sera dévorée en peu de temps. C’est qu’il faut les nourrir mes oiseaux, et autant dire qu’ils ont bon appétit.
J’ai un peu honte…
…devant ma montagne de provisions de lui tendre mon petit paquet ridicule, mais elle m’accueille avec un regard si sincère que j’en oublie vite mes pensées qui se bousculent. Je m’éloigne. Lorsque je me retourne quelques instants plus tard, je la vois engloutir cette part de pizza comme si elle n’avait pas mangé depuis longtemps. Mon coeur se serre. Cette misère me fait mal. J’engouffre mes sacs de course dans le coffre de ma Twingo prête à exploser.
Zut, je n’ai même pas pensé à lui apporter à boire.
Je n’ai rien à part du lait, tant pis, ça fera l’affaire. En me voyant arriver elle me sourit à nouveau, et son regard bleu intense est rempli de reconnaissance. Et là, je ne sais pas pourquoi, je la prends dans mes bras et mon coeur déborde.
Je suis émue de compassion pour cette femme.
Je ne la connais pas, je ne sais pas qui elle est, quelle est son histoire, comment elle en est arrivée là, ce qu’elle vit et ressent dans son coeur de femme.
Peut- être éprouve t-elle de la honte de devoir tendre la main pour espérer quelque chose de meilleur ? Je me sens si petite devant sa misère et la mienne en cet instant. Elle me baragouine quelque chose qui ressemble à une bénédiction pour moi et ma famille sans cesser de me sourire. En la quittant, une vague d’émotions déferle sur moi. En une fraction de seconde, tout mon être a chaviré.
Aujourd’hui, cette femme, sans le savoir, m’a appris à bénir ma vie, aussi fragile et imparfaite soit-elle, avec son lot d’imprévus et de contrariétés en tous genres, avec sa liste de choses que j’aimerais changer, avec ces litres de larmes d’incompréhension, parfois avec mon mari, souvent avec mes enfants.
Mais cette vie, ma vie est un trésor, précieux.
Chaque rire est un rubis qui remplit ce coffre, chaque seconde une perle, chaque larme un diamant qui vient l’illuminer. Alors j’accueille ces larmes qui n’en finissent pas de couler comme une cascade de diamants inondant ma précieuse malle.
Ma vie n’est pas parfaite mais elle est précieuse, et cette femme se tenant debout devant moi me l’a rappelé aujourd’hui d’une façon toute particulière.