Je rougis. Souvent, facilement. En de multiples situations. C’est un phénomène difficile à vivre pour moi, car il trahit mes émotions et révèle en même temps que le regard des autres me fait peur.
- Un élève me pose une colle (c’est le passe-temps favori de certains) : prise au dépourvu, je sens immédiatement le rouge me monter aux joues. « Et zut. Les trente-deux gamins en face de moi vont croire que je suis stressée par cette question car je ne sais pas y répondre. Pourtant je ne peux pas tout savoir. Il n’y a aucune raison d’en avoir honte. Mais quand même, zut ! » Toutes ces réflexions me viennent en un quart de seconde. Et ça y est. Je suis rouge, et furieuse contre moi-même. Envahie par mon émotion et ma crainte d’être jugée, je ne parviens plus à réfléchir. Je bredouille un « bonne question, mais là il faut qu’on avance » et je me tourne dos à la classe, écrivant frénétiquement au tableau le titre du prochain paragraphe. Et je continue de pester intérieurement : « mais quelle gourde, je suis nulle, nulle ! »
- Discussion dans un groupe, composé de personnes que je ne connais pas bien. Je prends la parole avec conviction et assurance, mais à l’instant où tous les regards se braquent sur moi, ça y est, je rougis. On me regarde. J’ai l’impression qu’on me scrute. Que vont-ils penser de moi ? Je sens que mes joues sont brûlantes, cela accentue mon trouble et me fait perdre le fil de mes idées.
- Je vois une personne faire une erreur ou une maladresse en public. Je rougis à sa place, jusqu’à en avoir les yeux qui piquent.
- Je dois faire connaissance avec telle personne qui m’impressionne beaucoup. Je sais d’avance qu’au moment où je lui adresserai la parole je deviendrai rouge comme une écrevisse. Alors je retarde au maximum le moment de l’aborder, jusqu’à ce que je sois acculée à lui parler.
Je rougis car j’entretiens tout d’abord un rapport compliqué avec le regard des autres.
J’ai peur d’être mal jugée, d’être moquée, d’être ridiculisée. C’est la peur qui me fait rougir, et entretient une honte qui n’a pourtant pas lieu d’être.
Je rougis aussi car mes émotions sont violentes, envahissantes. Mon visage est un livre ouvert sur mon intériorité, et je ne peux rien cacher ; aucun faux semblant n’est possible. Et dans notre société du paraitre et du contrôle, c’est dur à assumer.
Dans son livre Choisis la Vie, Yves Boulvin le résume très bien :
« Pendant longtemps, l’éducation a privilégié le paraître, la façade, le fait de réprimer des émotions jugées inappropriées ou indécentes, si bien que le fait de rougir a été assimilé au sentiment de culpabilité et par voie de conséquence, à la honte. La société a privilégié le fait de blêmir à celui de rougir : blêmir, c’est mettre le masque, tandis que rougir c’est laisser voir son trouble. La répression de la spontanéité a entraîné la honte de montrer ses sentiments. Et celui qui s’empourpre ressent immédiatement de la honte, celle de se montrer coupable de transparence aux yeux de tous ».
Evidemment, cette honte de la transparence (c’est un comble que la rougeur soit synonyme de transparence !) est alimentée par les regards interloqués, les remarques innocentes, voire les sarcasmes de ceux qui me voient rougir :
« Oh, tu as pris un coup de soleil ? »,
« Ben alors, vous avez un coup de chaud ? »,
« Que se passe-t-il ? Tu es toute rouge ! »
Je suis même capable de rougir par anticipation, lorsqu’advient une situation susceptible de déclencher une émotion. De toute façon, j’ai compris que lutter ne sert à rien : si je pense intérieurement « ne rougis pas », je rougis deux fois plus.
Bien sûr, je travaille sur moi.
J’essaie de prendre les choses avec plus de légèreté, de continuer de sourire comme si rien ne se passait, ou de prendre le parti de l’humour — « Évidemment, on est en décembre, le soleil tape en ce moment ! » — voire (de faire semblant) d’assumer complètement que je rougis : « eh bien oui, tu vois, je rougis tout le temps ; pas toi ? ».
Mais en réalité, je reste mal à l’aise que ma vulnérabilité s’étale ainsi aux yeux de tous.
Ce que je voudrais, c’est apprendre à accepter pleinement cette facette de ma personnalité, et à l’aimer. Assumer que mon visage, par sa couleur et ses expressions, révèle mes états d’âme ; et être fière d’avoir une si belle sensibilité.
Très chère Fabuleuse,
Peut-être que toi aussi tu souffres de te sentir régulièrement trahie par tes joues ; cela te fait perdre confiance en toi, et tu t’en veux d’être trop sensible au regard des autres. Pourtant, sache que ce détail qui te complexe révèle de magnifiques qualités.
- Tu rougis car tu ressens avec intensité tes émotions.
- Tu rougis pour les autres car tu as de l’empathie pour eux, jusqu’à vivre leur émotion à leur place.
- Tu rougis, car tu es vraie, authentique.
Ta vulnérabilité se perçoit sur ton visage, et cette vulnérabilité est un trésor.
Tu ne dissimules pas, tu ne caches pas ton intériorité. Ton corps et ton esprit sont unifiés : tu peux donc goûter la plénitude.