Il existe un examen de la bonne ménagère : l’état des lieux de sortie lors d’un déménagement, et je sais que je vais le rater.
C’est terrible, parce que j’ai toujours été une très bonne élève.
J’ai pleuré à 7 ans de n’être que la 2e de la classe. J’ai eu mon bac avec les félicitations du jury. Et là, c’est sûr, je vais être recalée (c’est à dire qu’une partie de ma caution va y passer).
A cette impression d’échec, s’ajoute de la honte. La crasse suscite immédiatement du dégoût, donc de la honte chez ceux qui l’ont laissée proliférer, ou devrais-je dire celles qui l’ont laissée proliférer ?
La honte et la responsabilité de la saleté sont-elles davantage féminine dans notre société ?
Mon mari m’a fait remarquer que notre cher propriétaire, lui, n’a visiblement aucune honte de l’état du parking, pourtant jonché de gravats et baignant dans une eau stagnante peu ragoutante, dont il ne se sent manifestement pas responsable.
J’écris cet article pour que nous nous libérions collectivement de cette honte.
Déménager est très fatigant. Mais le pire, ce sont les pensées qui tournent en boucle dans ma tête depuis que je me suis lancée dans le grand ménage. Je réentends des phrases désagréables prononcées à l’encontre de femmes jugées peu soigneuses. Je revois le stress de toutes ces figures féminines avant que des invités ne débarquent. Je me souviens de l’état d’épuisement de ma mère après le ménage final de certains déménagements. Et surtout, il y a cette liste de choses à faire qui ne cesse de s’allonger, avec l’impression que chaque item est une question de vie ou de mort.
Le meilleur moyen de se débarrasser de la honte, c’est de la transformer en fierté.
Alors au lieu d’avoir honte de l’état de la bouche d’aération, je choisis d’être fière d’avoir passé plus de temps ces dernières années à jouer avec ma fille qu’à faire le ménage.
Au lieu d’avoir honte des joints noircis et abîmés de la cuisine, je choisis d’être fière d’avoir su décongeler au moins une pizza par semaine pour rester de bonne humeur entre 18h et 20h.
Au lieu d’avoir honte de la cuvette de mes toilettes, je choisis d’être fière d’avoir su y lire quelques lignes de roman presque tous les jours pour apporter de la légèreté à mes journées.
Au lieu d’avoir honte de toutes les traces de moustiques écrasés sur les murs, je choisis d’être fière d’avoir géré au mieux tous les réveils nocturnes – qu’ils aient été imposés par ma fille, par les moustiques… ou les deux.
Partir c’est mourir un peu, et ce n’est pas plus mal.
Ce déménagement va me forcer à tuer l’image de la bonne ménagère, qui est plus encombrante qu’autre chose quand on devient maman. Je vais devoir placer ma fierté au bon endroit, et ce n’est pas facile, car quand on déménage, tous nos repères changent. On a besoin de sécurité et on la cherche où on peut. Dans mon cas, c’est dans le ménage. Pour d’autres, c’est dans un rétroplanning millimétré, dans un annuaire du contenu des cartons (oui, oui, ça existe), dans le comparatif exhaustif de toutes les entreprises de déménagement. D’autres utilisent plutôt la stratégie du déni en faisant tout au dernier moment.
Mais je m’interroge : où devons-nous placer notre sécurité ? Est-ce dans le contrôle ou dans le déni ?
Et franchement, est-ce malin de faire dépendre ma sécurité de l’appréciation d’une agence de location qui a tout intérêt à me faire payer un maximum de frais ? En réalité, la sécurité, je n’ai pas à la chercher, juste à la cueillir, car il ne va rien m’arriver de grave. C’est juste un déménagement. Je peux respirer, et même mettre des touches de légèreté dans mes journées (idée de mon mari : cacher des œufs en chocolat dans les cartons pour avoir le plaisir de les trouver en les déballant !).
Bilan de l’état des lieux de sortie : l’appartement est certes plus sale qu’avant, mais moi, je suis encore plus fabuleuse.
Courage à toutes les fabuleuses qui comme moi vont déménager cet été ! Si on est suffisamment nombreuses à ne pas récupérer notre caution, on pourra créer le club des fabuleuses qui ont échoué à l’examen de la bonne ménagère !
