Elle avait mis si longtemps la sourdine,
Baissé les yeux sous les regards interrogatifs,
Penché la tête pour mieux passer sous les portes,
Enlevé ses chaussures pour marcher à pas de loup,
Respiré si finement que l’air lui suffisait à peine,
Qu’elle en avait oublié le son de sa voix.
Elle avait tant mis la sourdine,
Porté les paquets des autres,
Frotté les traces laissées sur son cœur par les irrespectueux,
Versé des larmes silencieuses, seule jusqu’au bout de la nuit,
Caché le doute, la honte et la colère sous une couche de fond de teint,
Qu’elle en avait perdu le sens de qui elle était encore vraiment.
Elle s’était habituée à cette sourdine,
Tellement, qu’elle ne trouvait plus le sens de ses mots,
Ses besoins, ses désirs et ses rêves,
Le silence avait embaumé son âme comme dans une feuille de papier à bulles,
Et elle murmurait sans cesse qu’on ne l’entendait plus.
Elle se sentait invisible, on ne la percevait plus.
Au fond, les autres aimaient bien cette sourdine,
C’est si pratique, peu de plaintes, peu de demandes,
Elle était devenue facile à vivre et fade… et déracinée,
Mais tout au fond d’elle on sentait frémir la surface de l’eau,
Et la tempête grondait au loin, l’on craignait le débordement,
Le moment où tous les barrages commenceraient à craquer.
Et puis un jour, ça lui suffit.
La sourdine, elle n’en voulait plus,
Elle voulait entendre de nouveau le son de sa voix,
Crier, parler, aimer, vouloir, jouer, danser, exister.
Ouvrir la bouche et dire, réclamer, quémander, être entendue !
Il était temps de se relever, de retrouver sa place.
Alors elle enleva la sourdine et l’air envahit d’un seul coup ses poumons,
La force, le souffle qui porte les mots, qui partage,
Elle enleva la sourdine et d’une voix plus claire que jamais,
Elle put enfin dire « écoute-moi, là ! », et les mots devinrent les clés de sa liberté,
Les mots du désir, des besoins et des rêves.
Elle ouvrait la porte grand, si grand, pour enfin s’en sortir.
Si toi aussi, tu as trop longtemps mis la sourdine,
Si ta voix est trop faible, si personne ne t’entend
Alors ouvre la bouche et parle fort
Parle en ton nom et réclame, proclame, explique, réplique
Ne les laisse pas te mettre en sourdine.
Dis-leur enfin ce dont tu as besoin, ce qui te fait vibrer, ce dont tu rêves, ce qui te révolte, ce qui te garde en vie.
Et s’il te faut du temps pour retrouver ta voix, s’il tu ne sais même plus ce que tu voulais vraiment, alors munis-toi de patience et guette cette toute toute petite voix, qui dans le murmure, dans le silence, dans le respect, te montreras le chemin que tu désirais tant prendre.
C’est ton tour : à toi de t’exprimer !
« Chacun de nous est né pour donner au monde quelque chose qui n’a encore jamais existé : une façon d’être, une famille, une idée, un art, une communauté — quelque chose de nouveau. Nous sommes ici pour nous exprimer pleinement, nous imposer et imposer nos idées, nos pensées et nos rêves, changer le monde pour toujours par ce que nous sommes et ce que nous puisons dans notre intériorité. Nous ne pouvons donc pas nous contorsionner pour essayer de loger dans cet ordre visible étroit. Il nous faut nous libérer pour voir ce monde se réorganiser sous nos yeux. » Glenon Doyle, Indomptée