Je m’appelle Marion. J’ai 34 ans. Je suis la maman de 4 adorables garçons : 3 sur la Terre et 1 au Ciel.
Je me creuse la cervelle… pour t’encourager, toi, ma sœur de douleur, celle qui dans sa chair a cru pouvoir faire grandir un bébé et à qui on a annoncé que ce bébé ne vivra pas.
Et alors que je revisite cette épreuve si singulière, je repense à ce silence… tu sais, celui que tu utilises lorsqu’on te demande combien tu as d’enfants et que tu réponds 3 alors que tu en as 1 de plus au ciel. Ce silence que tu as rencontré et que tu rencontres encore presque à chaque fois que tu aimerais aborder le sujet de cet enfant qui te manque tant.
Ce silence, j’ai appris à l’apprivoiser.
Il est devenu mon compagnon de misère. Ce silence est palpable, de plomb, ça n’est pas un silence paisible comme celui que je réclamais si souvent en tant que maman de jeunes enfants.
Si je devais décrire ce silence, je dirais que c’est celui qui s’installe entre ton mari et toi face à l’épreuve de la perte de votre bébé, par peur de se blesser l’un l’autre.
- Celui qui est palpable à chaque rendez-vous médical.
- Celui qui dure comme on retient son souffle dans l’espoir de jours meilleurs.
- Celui qui résonne comme seule réponse à ceux qui s’étaient aventurés à demander des nouvelles de cette grossesse et à qui nous annoncions que notre bébé était condamné.
Ce silence qui se pose là, de tout son long, et qui prend la place d’un élan de compassion, d’une phrase réconfortante, d’un sourire qui pourrait nous insuffler du courage… Non, pour toute réponse à notre situation, il n’y a que le silence.
Le silence aussi lorsque nous avons mis au monde notre 3ème fils…
Ce silence qui se fait plus doux.
Ce silence qui nous enveloppe et qui, tel l’écrin met en valeur le bijou précieux, fait paraître chaque son plus fort et plus vibrant, comme le premier cri de Joshua-David, sa respiration fatiguée, les battement faibles de son petit cœur….
Ce silence gêné et gênant qui s’érige comme obstacle à la conversation, lorsque 3 jours après la naissance et le décès de notre bébé, je rencontrais le papa d’un camarade d’école de mon fils ainé, tout heureux de venir à ma rencontre et de me demander comment s’était passé l’accouchement, étant lui-même devenu papa pour la seconde fois.
– Bien, ai-je répondu aimablement sans vouloir m’étendre sur le sujet. Et vous comment va votre épouse ?
– Bien, le bébé est né, c’est une petite fille et elle se porte à merveille !
Je souris sincèrement et garde le silence.
– Et vous ? Comment se porte le bébé ?, demande-t-il en parcourant du regard la place de jeux.
– … Il est mort. Je réponds le plus naturellement du monde. (Que puis-je dire d’autre ?)
Silence d’effroi…
Nous venions de vivre une naissance tous les deux. Mais l’issue n’a pas été la même. Ce papa est vite reparti, ce jour-là. Il a été la première personne à qui je l’annonçais et j’ai dû lui tendre un miroir sur l’envers du décor de la vie… C’était dur aussi pour lui.
Ce même silence qui s’incruste encore aujourd’hui lorsqu’une personne nous rencontre avec nos 3 fils et me lance malencontreusement d’un air badin :
– Un petit quatrième pour faire une fille ?!
Et là, parfois, j’ose lâcher la bombe :
– Nous avons déjà quatre fils.
Silence étonné. Regard qui se promène. Cerveau qui se met en branle… Où est donc ce fils qui m’a échappé ?
– Notre 3ème fils est décédé une heure après sa naissance. Notre petit dernier est notre quatrième enfant.
Stupéfaction. Silence gêné.
Regard de compassion. Changement de conversation. Fin de l’histoire.
Je reconnais volontiers que ce silence est souvent empreint de discrétion, de respect et de bienveillance. Mais malgré toutes ses intentions nobles, ce silence ressemble à un colosse en armure qui ne laisse rien transparaître et contre lequel mon âme en peine se heurte sans arrêt.
Ce silence, compagnon d’infortune, qui étouffe mon cri à chaque tentative de raconter l’incroyable vie de Joshua-David. Ce silence qui m’accompagne alors que j’écris ces lignes et dans lequel je t’amène avec moi, chère fabuleuse. Ce silence qui accompagne chaque âme qui souffre, ce silence qui pèse parfois si lourd et nous pousse à nous dévoiler.
Sais-tu que nos amis anglophones ont une expression rigolote à ce sujet : « an elephant in the room » (un éléphant dans la pièce). C’est quand un sujet ne peut être ignoré tellement il est imposant et lourd mais que tout le monde fait comme s’il n’existait pas.
« Nan mais allô, quoi ! T’as un éléphant dans ton salon et tu l’vois pas ?! »
Dans mon cas, l’éléphant s’appelle Joshua-David.
Un petit garçon qui a vécu 9 mois dans mon ventre et 1 heure dans mes bras. Un petit garçon qui a eu la force de naître et de vivre cette heure avec nous. Un petit garçon qui a profondément changé notre vie. Un petit garçon pour lequel nous nous sommes battus avec mon mari et que nous avons aimé de toute notre force et inconditionnellement. Un petit garçon qui nous a ouvert les portes du ciel.
Si nous partageons la douloureuse expérience d’avoir perdu un enfant, chaque histoire est si singulière !
Mais toi aussi, tu peux trouver ton exutoire, trouver où et comment crier cette injustice et cette peine. Raconte ton histoire, rappelle-toi ces souvenirs. Ne les enfouis pas sous le tapis en pensant qu’ils vont disparaître. Tu croyais vraiment que tu pouvais cacher un éléphant sous un tapis persan ?
Ose briser le silence et te montrer vulnérable. Ta souffrance a fait de toi celle que tu es : cette femme fabuleuse, sensible et forte à la fois. Une Résiliente.
Cet article nous a été envoyé par une fabuleuse maman : Marion B.