Après les deux fausses-couches que nous avons vécues l’an dernier, j’ai lu beaucoup de textes et de témoignages de parents. Il y avait notamment celui d’Hélène Bonhomme, « Combien d’enfants : avec ou sans les morts ? » qui m’a beaucoup fait réfléchir. Il était important pour moi de donner une véritable place à ces deux tout petits bébés, mais je ne savais pas trop de quelle manière.
Ou plutôt, je le savais pour nous, personnellement, mais je ne savais pas comment le faire pour les autres, pour l’extérieur.
Pour nous, c’était clair :
Ils ont vécu une toute petite vie dans mon ventre.
Ils nous ont apporté de la joie, et leur départ a été une grande source de tristesse. Nous leur avons choisi un prénom (que nous avons gardé pour nous), et j’ai fait un petit objet symbolique pour manifester leur passage dans notre vie. Et récemment j’ai même raconté à notre fille ces événements : dans mon ventre, il y a eu elle, puis un bébé parti très vite, un autre bébé parti lui aussi très vite, et il y a eu son petit frère. Elle demande souvent que je lui répète cette histoire, comme pour se l’approprier, probablement à la fois pour elle et son frère, mais aussi pour ces deux petits bébés.
Pour l’extérieur, ce n’est pas aussi évident pour moi, et en particulier pour la question « Combien as-tu d’enfants ? » Beaucoup de témoignages que j’ai lus étaient très clairs sur le fait que les bébés qu’ils avaient perdus lors de fausse-couche, de mort in utero ou encore de mort à la naissance faisaient partie du nombre d’enfants qu’ils avaient :
des enfants sur terre et d’autres enfants au ciel.
Au départ, j’avais en tête la même chose pour moi, pour nous.
J’avais comme l’impression que je devais les compter, pour ne pas les oublier, et probablement aussi pour ne pas oublier le gros chamboulement que ça a provoqué dans ma vie. Mais je ressentais qu’il y avait un petit malaise pour moi à cette idée. Notamment quand, vers la fin de la grossesse de mon fils, j’ai réalisé que s’il venait à décéder à ce moment-là, ce ne serait pas la même chose. Je ne pourrais pas dire que ce serait comme ces deux petits bébés.
Non, je ressentais que lui, c’était plus, il était plus là, il avait plus fait partie de ma vie, j’avais une relation plus grande avec lui et c’était clair et net qu’il « comptait », et même d’une certaine manière qu’il comptait plus que les autres. Mais du coup, je me sentais tout de même mal à l’aise de penser que les autres ne comptaient pas, parce qu’ils étaient partis plus tôt…
Un vrai casse-tête intérieur !
Et puis j’ai lu une bande dessinée sur une femme qui parle de ses fausses-couches et qui dit que pour elle, les bébés qui sont partis ne font pas partie de « ses enfants », ou en tout cas pas au même titre que sa fille née par la suite. Elle dit sa douleur, réelle, elle la revendique, mais elle ne ressent pas le besoin de nommer, de « compter » les bébés « comme ses bébés », et encore moins lorsqu’il est question de répondre à la question « Combien as-tu d’enfants ? »
Et là, ça m’est apparu beaucoup plus clairement : c’est à peu près la même chose pour moi.
Ces tout petits bébés ont compté.
Oui, ils font partie de notre vie et je ne les oublie pas.
Mais je ne souhaite pas dire aujourd’hui que j’ai quatre enfants. J’ai deux enfants, ma fille et mon fils. Et si la conversation s’y prête, je dirai sans gêne que nous avons vécu deux fausses-couches, perdus deux petits bébés, mais sans avoir besoin de les compter avec ma fille et mon fils.
Je ne cherche pas à dire qu’un bébé plus grand a plus de valeur qu’un tout petit bébé parti lors d’une fausse-couche précoce. Loin de là.
Car la douleur, elle, est grande quoi qu’il arrive.
Je veux plutôt dire que pour moi, pour ma situation à ce moment-là, c’est ainsi que je l’ai ressenti. Et je ne suis même pas sûre que cette différence soit liée à la durée de vie dans mon ventre des bébés. Je ne sais pas trop ce qui est en jeu à vrai dire. Mais simplement, c’est ce que je ressens, et je me sens bien avec cela.
Ce que je veux dire surtout, c’est que chaque situation est différente, et c’est véritablement à chacun, à chacune de sonder son coeur pour savoir comment répondre à la question « Combien as-tu d’enfants ? »
Sans oublier que l’on n’y répond pas forcément de la même manière selon la personne en face et le type de conversation 🙂 Et peut-être d’ailleurs que la réponse sera différente aussi après quelques années, dans un sens ou dans l’autre.
Pendant les jours d’automne proches de la journée du deuil périnatal, j’y repense :
Il y a tant de personnes autour de nous qui ont perdu un bébé, tout petit ou déjà grand.
Et ce n’est pas forcément facile de savoir comment en parler et quel regard porter sur ce qui a été vécu.
À la lecture des différents témoignages, j’ai réalisé que non seulement ils m’ont fait me sentir moins seule, mais ils m’ont aussi permis de me sentir légitime dans mon ressenti, quel qu’il soit. Car ces témoignages montrent que chaque situation est différente, chaque ressenti est différent et chaque lecture est différente. Il y a de tout. Et ce que je ressens, ce que je décide de nommer et la manière dont je décide de le nommer est légitime. Les situations sont peut-être similaires, mais chacun-e y porte un regard différent, unique. Il n’est pas besoin que ce soit le même que celui de quelqu’un d’autre pour qu’il soit légitime.
Mon regard à moi l’est aussi, il est différent, unique et légitime. Il me correspond, il nous correspond et nous permet d’aller de l’avant, aujourd’hui, avec notre histoire.