Dessin de Marguerite Bories pour les fabuleuses au foyer.
C’est arrivé vers dix heures du matin. J’ai vu ma vie défiler devant mes yeux.
Je venais de lancer une machine à 30° (cette température magique qui vous évite de séparer le blanc des couleurs). Je m’apprêtais à mettre au micro-ondes un café que j’avais déjà réchauffé une première fois ce matin-là. À grands cris, les enfants se disputaient une figurine de chien pompier. Bref, une matinée comme toutes les autres.
Et puis c’est arrivé.
Mon pire cauchemar.
La sonnette.
Un rapide coup d’oeil par la fenêtre : pas d’utilitaire à l’horizon. Ce n’est ni le facteur, ni un ouvrier du gaz. J’écarte donc l’option “accueil sur le perron.”
“C’est peut-être une voisine. On est quel jour, déjà ? Mardi. Dix heures. Mardi dix heures ! Merde ! La visite du propriétaire !
État de la situation : évier en débordement, poils de chiens en recouvrement, sol jonché de jouets en tout genre, panier à linge au milieu du salon, slips sales sur le carrelage du couloir, enfants en pyjama, et moi en… en…
Merde ! Je suis en pyjama ! OK, priorité. C’est quoi la priorité ? Mascara. Mais nan, réfléchis, putain ! Va t’habiller et plus vite que ça ! Je monte les escaliers quatre à quatre.”
Deuxième coup de sonnette.
“Un instant ! J’arrive !”
J’ouvre la commode. Mon cerveau cafouille. “Je mets quoi ? Je fais quoi ? Merde !” Panique généralisée.
Et puis, contre toute attente, j’ai fait preuve d’une admirable bravoure.
J’ai enfilé calmement un énorme pull cache-misère.
J’ai laissé en plan ce bronx intersidéral.
J’ai fait demi-tour et je me suis dirigée vers la porte d’entrée. En pyjama.
J’ai tourné la clé, baissé la poignée, ouvert la porte. J’ai rassemblé tout mon courage, et j’ai fait preuve de bravoure intrépide : j’ai souri. Je n’ai même pas essayé d’expliquer que chacun de mes enfants s’était réveillé trois fois la nuit précédente. Je n’ai pas tenté de faire savoir que malgré les apparences, j’avais été affairée toute la matinée.
J’ai ouvert la porte, et j’ai souri. C’est tout.
Une histoire banale de courage ordinaire, cette sorte de courage qui n’est pas de l’héroïsme. (Cela dit, si j’avais été en chemise de nuit, là ça aurait véritablement été de l’héroïsme.) Juste se mettre dans une position inconfortable où l’on prend le risque d’être jugée. Juste renoncer à porter un masque pour cacher notre imperfection. Juste être vraie et permettre aux autres d’être vrais aussi :
“Avec le courage héroïque, il s’agit de risquer sa vie. Avec le courage ordinaire, il s’agit d’exposer sa vulnérabilité. Dans le monde actuel, c’est assez extraordinaire.” Brené Brown, La force de l’imperfection
Et pour vous, qu’est-ce que le courage ordinaire?
- aller à la piscine avec vos enfants, même si vous vous sentez mal à l’aise en maillot de bain ?
- ne pas savoir quoi dire à une amie qui subit un traitement contre le cancer, mais l’appeler quand même pour prendre de ses nouvelles ?
- expliquer, pendant la réunion des parents, que vous ne prendrez pas le temps d’aider à organiser la kermesse ?
- demander de l’aide à votre belle-mère pour pouvoir souffler un peu ?
- engager une femme de ménage, quitte à ce que ça se sache dans le village ?
- laisser votre compagnon vous prendre dans ses bras pour vous rassurer ?
- dire non sans vous justifier ?
Ouvrez la porte. En pyjama. Et surtout : souriez.
« Parfois, je tire encore mon sentiment de valeur de ce que je fais et de l’apparence que j’ai, mais j’apprends à lâcher prise. La maternité m’a beaucoup appris à ce sujet. C’est une grande leçon de pagaille et d’humilité, et j’apprends à laisser voir ma pagaille. » Andrea Scher