Accepter l’inacceptable - Fabuleuses Au Foyer
Dans ma tête

Accepter l’inacceptable

Maria Balmès 11 septembre 2024
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Jamais je n’aurais cru écrire cet article.

Je suis prof de philo et je me revois, il y a quelques années, dire à mes élèves que les stoïciens n’avaient rien compris à la vie, et faire l’éloge de la révolte. Je partais dans des envolées lyriques en leur expliquant que la souffrance est insupportable et que c’est précisément pour cela que les êtres humains ont cherché à la faire disparaître : « Se révolter contre le mal a fait progresser l’humanité. Se révolter est le signe que nous sommes des êtres remplis d’idéaux, qui désirent le bonheur et qui peuvent se battre pour l’obtenir. » Pendant longtemps, en effet, je n’ai voulu faire aucun compromis avec la vie. Je la voulais grande, belle, splendide. Ressentir des émotions désagréables ne faisait que renforcer ma quête d’une vie pleinement heureuse. Cette posture n’aura pas été inutile, car elle m’aura donné de l’énergie pour m’intéresser aux questions de santé mentale, de psychologie et de développement personnel.

Mais il s’est passé quelque chose : je suis devenue maman.

Au départ, j’ai simplement élargi mon désir : je voulais une vie grande, belle et splendide, non seulement pour moi, mais aussi pour ma fille. Sauf que le bonheur de ma fille ne dépend pas seulement de moi. Je lui ai donné la vie, mais la vie est comme elle est, épreuves comprises, et il a fallu que je l’accepte. Je dis « épreuves » pour ne pas t’effrayer, chère Fabuleuse, mais tu sais comme moi que, derrière ce mot pudique, se cachent d’atroces souffrances, qui peuvent nous broyer l’esprit et nous faire hurler dans la nuit.

Et pourtant, je finis par trouver une certaine douceur dans l’acceptation du mal et de la souffrance pour plusieurs raisons.

1. Accepter la souffrance permet d’arrêter de culpabiliser à tort et à travers.

J’arrête de porter le poids du monde sur mes épaules. Je ne suis ni coupable ni responsable de tous les malheurs du monde. J’ai transmis la vie à ma fille, mais la vie préexiste. Je ne suis pas Dieu ! 

2. La vérité, c’est reposant. Lutter, c’est fatigant.

On peut se construire un monde imaginaire, essayer de se protéger par des superstitions ou du déni, mais cela demande une énergie mentale considérable. Finalement, c’est beaucoup plus reposant d’accepter les choses comme elles sont. La vérité est reposante même si la vérité est douloureuse.

3. Accepter permet d’être très doux avec soi-même.

En acceptant la vie comme elle est, avec ses épreuves, je consens en même temps aux émotions (très) désagréables que ces épreuves suscitent. Je pense qu’il n’est ni possible ni sain de rester parfaitement stoïque face aux épreuves. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, accepter ses propres émotions désagréables… n’est pas désagréable. Bien au contraire ! C’est une façon de reconnaître qu’on est légitime dans notre désarroi ou notre souffrance et c’est le premier pas pour s’apporter à soi-même du réconfort, comme nous y invite Kristin Neff dans ses ouvrages sur l’autocompassion (qui ont changé ma vie : merci Kristin !).

4. Accepter et espérer peuvent aller de pair.

En acceptant la souffrance, j’avais peur de tomber dans le désespoir le plus glauque. Mais il existe un entre-deux entre une vision exclusivement rose de la vie et le tableau sombre que brosse un esprit désespéré. Il y a une phrase que l’on apprend chez les Fabuleuses et qui m’a beaucoup portée : « Cette période difficile va passer et de bonnes choses s’en suivront. La souffrance finit toujours par s’estomper, mais jamais sans nous apprendre quelque chose de nouveau, jamais sans nous conduire à quelque chose de plus beau ». Et pour les plus grands drames de la vie, il y a ces paroles d’Anne-Dauphine Julliand, prononcées malgré la mort de ses enfants : « La consolation est un art qui embellit les fêlures de nos vies. Elle applique sur les plaies un onguent d’or. De l’or éprouvé par le feu et puisé au creuset des cœurs. » (Consolation, chapitre 26). Je peux donc tout à fait accepter qu’il y ait des périodes difficiles voire des drames, tout en me construisant une vision positive de la vie et en espérant goûter la grâce de la consolation. J’ai même envie de dire que l’espérance n’existe pas tant qu’on lutte contre la souffrance par ses propres forces. Espérer, c’est s’en remettre à une force supérieure. C’est un acte de foi en la Vie, en l’Amour, ou en Dieu si l’on est croyant. Or cela suppose d’accepter que tout ne dépende pas de nous. Accepter et espérer procèdent du même mouvement : la confiance.

5. Accepter ce qui ne dépend pas de nous permet de se concentrer sur ce qui dépend de nous.

Je reste une révoltée. Mais j’essaie de focaliser ma révolte sur ce qui dépend de moi. Tout l’art est de bien discerner ce qui dépend réellement de nous au fil du temps (parce que cela change !), comme nous y invite Marie Lucas-Leborgne dans son article « Mon bonheur dépend avant tout de moi ». J’ai été très frappée récemment par un interview de Clarisse Crémer, une navigatrice qui a participé à des courses en mer comme le Vendée Globe. Lorsqu’il lui arrive une tuile seule en mer, et surtout si cette tuile lui est en partie imputable, son grand combat intérieur consiste à accepter la situation telle qu’elle est comme point de départ d’un nouveau chemin. Elle se répète alors cette phrase : « Ça part de là ». Je suis admirative devant une telle sagesse, qui suppose une acceptation complète de la situation, pour se laisser la chance de remporter la course ensuite. C’est une forme de sagesse que l’on retrouve aussi chez des mères qui ont eu des enfants gravement malades comme Anne-Dauphine Julliand (Consolation, chapitre 23) ou Marie-Axelle Clermont (A la vie, à l’amour) : elles disent toutes les deux avoir décidé de renoncer à la question du « pourquoi ? » (pourquoi c’est tombé sur nous ? pourquoi la vie est-elle si dure ?) pour se concentrer sur la question du « comment ? » (comment accompagner mon enfant au mieux ? Comment traverser un deuil ?) Il faut accepter la situation comme elle est pour mieux agir. Accepter, ce n’est pas se résigner.

6. Petit effet bonus de l’acceptation : je dors beaucoup mieux !

Dormir suppose d’arrêter d’agir. Il faut donc accepter que tout ne dépende pas de nous et faire confiance, même lorsque les ténèbres nous enveloppent et vont jusqu’à assombrir toutes nos pensées. Avant de m’endormir le soir, j’aime donc me répéter : « J’arrête de me faire croire que tout dépend de moi et je dépose mon sac pour la nuit. J’arrêter de lutter : la vérité c’est reposant ».

Chère Fabuleuse, je ne sais pas quelle souffrance tu dois accepter en ce moment.

Je te souhaite de tout cœur de découvrir la douceur de l’acceptation et la puissance de la consolation. Peut-être que partager ta situation avec nous pourrait t’y aider. Poser des mots sur ta situation t’aidera à l’accepter. Pour ce qui est de la consolation, tu vas découvrir la tendresse de la communauté des Fabuleuses ! N’hésite pas à utiliser les commentaires ou à envoyer un mail personnel à l’équipe des fées de la boîte mail (contact@fabuleusesaufoyer.com).

P.S. Pour celles qui voudraient creuser l’aspect philosophique du débat sur l’acceptation, vous pouvez lire d’une part l’introduction de L’homme révolté de Camus et d’autre part Le manuel d’Epictète qui propose un condensé de stoïcisme antique. J’essaie dans cet article d’esquisser une voie intermédiaire, un stoïcisme doux et plein d’espoir, qui doit beaucoup au livre de Martin Steffens La vie en bleu.



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Cet article a été écrit par :
Maria Balmès

Maman d’une petite fille, elle a vécu l'épreuve de la dépression post-partum. Ses textes cherchent à apporter beaucoup de douceur et d'espoir aux mamans dans la tourmente. Elle s'appuie sur son expérience thérapeutique (des psys, elle en a vu), sur des concepts philosophiques (c'est son métier) et sur les judicieuses remarques de son mari (qui ne perd jamais le nord dans les tempêtes).

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