Dans un éclat de rire taquin, tout sourire, ou parfois en larmes, j’ai répété les phrases suivantes des milliers de fois depuis 4 ans :
« Maman n’a que 2 bras » ;
« Je ne peux pas être partout » ;
« Chacune son tour » ;
et avec un brin d’humour devant des passants s’enthousiasmant sur la gémellité : « Si vous le pouvez, faites les enfants un par un ! »
C’était en juin 2017.
Déjà chamboulée par le fait de devenir maman,
pas très sûre de ma compétence en la matière et angoissée par notre nouvelle responsabilité à venir, j’étais très émue lors de la toute première échographie. Le très joyeux et sincère « Oh, mais il y en a un deuxième ! » du gynécologue nous a donc un brin figés, mon conjoint et moi (allez, merci la vie !). Avec la goutte de sueur qui perlait sur le front, pour la touche glamour.
Il n’y a pas de concours de qui a eu la grossesse, l’accouchement, les débuts en parentalité les plus difficiles.
Chacun a son parcours, son histoire, son enfant avec toutes ses particularités et son unicité. Mais je dois bien l’admettre, avec 2 bébés simultanés — ou plus — , il y a quand même du niveau, en termes de complexité (et ça fonctionne aussi avec des enfants rapprochés).
Dès les premières heures, on ne peut pas être partout, mais on va mettre du temps à l’accepter. On va essayer quand même, pendant un temps, de défier cette loi incompressible de la nature. Deux bébés qui pleurent, qui ont besoin de câlins, d’attention, d’amour, de présence, d’une couche propre, de lait. Le jour, la nuit. Deux bébés, un seul cerveau, un seul corps. Et de fait une énorme culpabilité de ne pas pouvoir faire les choses comme on aimerait les faire, comme il faudrait les faire.
Toi, la maman de multiples,
Tu connais l’angoisse des siestes — brèves — décalées, ne te laissant aucun répit de la journée, et de la même manière, des couchers décalés, avec un enfant encore éveillé qui peut réveiller l’autre. L’endormissement dans la poussette parce que tu ne peux pas bercer les deux en même temps, en cas de conjoint absent. Les bibis en simultané, faire attendre l’une puis l’autre, mais laquelle d’abord ? Celle qui crie le plus fort ? On est loin d’un idéal d’équité et d’égalité de traitement…
Tu connais sans doute aussi, l’appréhension de la sortie seule avec quatre petits pieds découvrant la marche, deux paires de fesses apprenant la propreté, et autant de chérubins cheminant vers l’autonomie. Aussi souvent que possible, les sorties étaient de ce fait à quatre, et le papa s’est impliqué fortement dès le début : chez nous, pas trop le choix du maternage exclusif, pas assez de bras (mais beaucoup de chocolat) !
Et peut-être connais-tu aussi ce pincement au cœur, de jalousie et d’envie, en voyant deux parents avec un seul enfant.
Et la pensée accompagnant cette image « Comme cela doit être incroyable de pouvoir se relayer ! » sans bien sûr savoir ni imaginer qu’en fait, eux aussi, ils galèrent.
Parce qu’avec les multiples, tout est démultiplié : les nuits chaotiques de toux, de fièvre, de cauchemars, de poussées dentaires… Et les disputes pour à peu près tout, y compris les bras du même parent (au hasard, ceux de maman). Mais l’énergie parentale elle, reste la même, et la juste dose de patience, aussi. Aucun point bonus en plus à la naissance ! Et au contraire pour l’énergie, même.
Alors, on aménage son quotidien, on s’adapte pour faire au mieux. Par exemple, nous avons opéré quelques ajustements nécessaires dans notre vie à l’arrivée des filles : j’ai arrêté de travailler pendant un an et demi, nous avons eu le privilège de pouvoir embaucher une femme de ménage sur la même durée, et d’avoir un contrat pour quelques heures de crèche quotidiennes…
Oui, quand on est parents de multiples, on en chie quand même.
Surtout les 2 premières années, soyons honnêtes. Mais on en rit aussi, à deux, une fois tout ce petit monde couché. Parce que la parentalité, ça ébranle un couple, mais ça peut aussi le renforcer. À leur premier anniversaire, on a d’ailleurs trinqué avec mon chéri en se disant, fiers, émus et amoureux :
« Punaise, on l’a fait. On a passé la première année ! »
Mais c’est du boulot, c’est certain, et pas qu’au niveau logistique, aussi au niveau moral : la parentalité casse les codes que tu connaissais alors. Et dans le cas de multiples, on se force à ne pas culpabiliser, en se disant que c’est comme ça, qu’on n’y peut rien et qu’on fait avec, et que « deux enfants d’un coup, c’est merveilleux » !
Et c’est vrai, la nature est incroyable, et fait bien les choses.
Mais parfois, à bout de fatigue, on a du mal à relativiser, et on s’épuise à vouloir être partout.
Et puis on chemine, et on accepte cet état de fait, et on fait face et on avance avec quelques rechutes de cette culpabilité qui ne sert à rien, en plus, qu’on se le dise ! Et enfin, un matin, on se félicite de les voir jouer ensemble, raconter des histoires à n’en plus finir, développer une complicité dingue et apprivoiser leur relation unique. Et quand on les entend négocier pour savoir qui prendra les baskets bleues ou les bottes violettes, alors on oublie tout, et on comprend que tout ça « n’avait qu’un temps ».
Alors on a fait des erreurs, on en fera encore, mais on va faire mieux, ou au moins aussi bien… Et puis quand elles auront 16 ans, elles nous reprocheront tous les malheurs de la terre et elles devront avancer dans leur vie à elles, avec elles-mêmes, avec l’énorme socle d’amour et d’intention de bienveillance qu’on leur a offert, avec des crises de nerfs, de larmes, d’incompréhension et d’impuissance de leurs parents reconnaissants mais parfois dépassés… !